par Henry Welsh
Jeune Cinéma n°132, février 1981
Sélection du Festival d’Avoriaz 1978
Sorties les mercredis 17 décembre 1980 et 31 mai 2017
Montré pour la première fois à Avoriaz en 1978, ce premier long métrage de David Lynch révèle un véritable auteur dans un genre difficile à renouveler, celui du cinéma fantastique. Ou proprement celui du phantasme. Car l’inspiration de ce jeune réalisateur est hallucinante, et elle hante le spectateur comme un rêve lourd et difficile à oublier. David Lynch a su trouver les images cinématographiques, les sons électroniques les plus semblables à ceux que l’on peut percevoir dans un rêve. Même perte de référent spatial, même enchaînement de situations qui n’ont apparemment aucun lien entre elles sinon des liens d’attraction, d’analogie formelle. Tout un ensemble qui joue de la réalité en renvoyant à des images d’une fantasmagorie qu’on croirait sienne.
Les choses se corsent, ou s’allègent avec l’intrusion du rêve dans le rêve, comme si, de cette histoire le fond nous échappait sans cesse, sa réalité variant selon l’angle de vue. Pourtant Henry est un personnage ordinaire comme vous et moi (moi un peu plus puisque nous portons le même prénom). Ancien ouvrier au chômage, il a rencontré une certaine Mary qui lui apprend qu’elle a mis au monde un enfant dont il serait le père. À part certaines bizarreries dans le comportement des parents de Mary, rien de troublant ne vient éveiller notre appétit de fantastique.
Mais évidemment il y a ce bébé... un drôle de bébé dont la venue au monde bouleversera la vie d’Henry. Et puis Mary ne supporte pas les pleurs du petit qui ne s’arrêtent pas de la nuit, elle retourne chez sa mère. Pour Henry sa véritable amie reste la "fille du radiateur" qu’il retrouve de temps en temps. La mère partie, il s’occupe même avec beaucoup de tendresse paternelle de son enfant malade. Il aura une aventure avec la voisine d’en face, retrouvera la fille du radiateur et sera décapité. Un jeune garçon ira revendre son cerveau à un fabricant de gomme à papier, celles qu’on fixe au bout des crayons. Mais ceci n’est qu’un rêve et Henry se retrouve seul avec son bébé.
Tout cela n’est qu’une indication, qu’un fragment de l’histoire d’Henry Spencer, homme à la tête de choux. Il faudrait décrire avec minutie chaque scène en n’omettant aucun objet, en précisant la qualité de la lumière, en plaçant les personnages exactement, pour traduire le ton de ce film, et encore cette description ne serait pas sûre d’éviter l’épuisement du flot de rêve, de cauchemar qui s’attache à ce film.
L’angoisse, l’humour suscités par Eraserhead portent, parce qu’elle, parce qu’il, savent toujours nous tenir et nous retenir dans l’univers qu’elle, qu’il hante. Sans déverser des fleuves de sang - d’un mauvais effet, le film est en blanc et noir -, sans utiliser d’encyclopédie tératologique, David Lynch est entré, avec ce film, dans l’histoire du cinéma. Son deuxième long métrage a été produit par Mel Brooks) c’est déjà pas mal, mais, en plus, il a influencé l’élaboration de mes propres rêves ce qui, même si je ne suis pas le seul dans ce cas, est vraiment exceptionnel.
Henry Welsh
Jeune Cinéma n°132, février 1981
Eraserhead aka Labyrinth Man. Réal, sc, mont, déc : David Lynch ; ph : Herbert Cardwell & Frederick Elmes ; mu : D.L. & Peter Ivers. Int : Jack Nance, Charlotte Stewart, Allen Joseph, Jeanne Bates, Judith Anna Roberts, Jack Fisk, Darwin Joston, Neil Moran, Hal Landon Jr., Jennifer Lynch (USA, 1977, 89 mn).