L’originalité du nouveau film de Bertrand Blier ne tient ni à un propos audacieux, ni à de brillants dialogues, ni à une interprétation exceptionnelle. L’événement que crée le film est pour la première fois, chez lui, le souci d’explorer de nouveaux chemins de narration. En cela, il risque de dérouter son public habitué à une certaine linéarité du récit, constante chez le cinéaste, qui permettait jusque dans ses œuvres les plus difficiles - Buffet froid (1979), Notre histoire (1984) -, de garder pied. Ici, point de concession. Bertrand Blier va jusqu’au bout de son audace narrative. Il prend comme canevas un propos plutôt banal, le trio classique mari-femme-maîtresse, légèrement pimenté par des inversions de situation, et en épuise toutes les variations sur le thème de la beauté.

Dans une même séquence, il peut passer d’un temps à l’autre (passé-présent-imaginaire), d’une représentation symbolique d’un personnage à sa réalité - Josiane Balasko invitée-surprise du mariage par exemple, Michel Bouquet en pauvresse -, sans aucun ménagement, aucune précaution pour le spectateur. À lui d’être à la hauteur : le cinéaste ne suit que son désir et la logique propre de sa pensée, épaulée par la musique de Frantz Schubert, l’impromptu. Déroutant certes mais, dans sa démarche, il risque aussi de conquérir le public plus exigeant qui cherche à être bousculé et interpellé par le cinéma, un public à la recherche d’une esthétique et d’un sens.

Étape singulière dans l’œuvre de Bertrand Blier, Trop belle pour toi montre l’exigence d’un cinéaste envers son travail. Et si déception il y a, elle est à chercher du côté de ces impressions que l’on a lorsque, face à un nouveau paysage, on ne reconnaît plus les limites qui balisaient d’ordinaire sa route. On peut dire de cette déception qu’elle est toute positive. Dans le film, Carole Bouquet déclare à l’homme qu’elle aime son désir d’être "plus violemment approfondie". Comme elle, on aimerait que le cinéma nous fasse subir de temps à autres de ces violences amoureuses. Et Bertrand Blier est, dans son art, un "violeur" de première main. On attend vivement sa prochaine visite.

Philippe Piazzo
Jeune Cinéma n°196, juillet 1989

Trop belle pour toi. Réal, sc : Bertrand Blier ; ph : Philippe Rousselot ; mont : Claudine Merlin ; déc : Théobald Meurisse ; cost : Michèle Cerf. Int : Gérard Depardieu, Josiane Balasko, Carole Bouquet, Roland Blanche, Myriam Boyer, François Cluzet, Denise Chalem, Jean-Paul Farré (France, 1989, 92 mn).