Il existe de petites histoires dans la grande histoire du cinéma, celles de formes différentes qui avancent en parallèle et constamment, qui ont leurs lettres de noblesse, leurs festivals, leur diffusion, leur public. C’est le cas des films d’animation dont l’histoire commence avec l’invention du cinématographe - et même bien avant, ses prémices remontant aux lanternes magiques et aux fantasmagories de Robertson (1763-1837). Les Américains James Stuart Blackton (1875-1941), et surtout Winsor McCay (1867-1934) avec l’univers onirique de Gertie the Dinosaur (1914), avant Little Nemo (1905), en France Émile Cohl, (1857-1938) fabriquent les premiers films d’animation dès la première décennie du 20e siècle. On connaît la suite, en Europe Lotte Reiniger (1899-1981), les premiers Walt Disney, Tex Avery, l’école russe des années 1930, le cinéma japonais, en passant par Paul Grimault (1905-1994), les expérimentations de Norman McLaren (1914-1987), Raoul Servais (1928-2023) en Belgique, Michel Ocelot né en 1943, … des films principalement destinés aux enfants.
Aujourd’hui l’animation ne leur est plus exclusivement dédiée et l’on trouve désormais un mélange de techniques de prises de vues et d’effets numériques dans de nombreuses productions de longs métrages de fiction pour un public varié. Par exemple, The French Dispatch de Wes Anderson en 2021, ou, actuellement en salles, le blockbuster Sonic 3 dont on se demande s’il est vraiment adapté aux enfants à partir de 8 ans, comme le stipule sa bande annonce, tant il est violent. Cependant il demeure une production destinée au jeune public, solide et originale, qu’il faut saluer (qui n’a que rarement les faveurs de la presse spécialisée). C’est le cas de ce programme composé de 13 films de 3 minutes poursuivant sur grand écran la série À nous le Monde que France TV diffuse depuis une dizaine d’année sur ses antennes (92 petits films existent).
Un premier volet de films a été programmé en salles, il y a dix ans, et a rencontré un beau succès (250 000 spectateurs). Cette fois le choix s’est porté sur les réalisations les plus récentes par de jeunes cinéastes, chaque film étant une libre proposition de mise en images de poèmes d’auteurs reconnus. La beauté visuelle et sonore de ces films, destinés à un public à partir de 5 ans, peut largement attirer un public plus vaste. Papiers découpés, dessins animés, marionnettes ou figurines, chaque film propose sa technique, son univers, ses couleurs et un rapport original avec le poème (chanté, dit, parfois découpé lui aussi) qui est aussi créatif et d’une exigence technique remarquable.
Pour n’en citer que quelques uns : Conquistador de Jérémy Cousin, inspiré d’un poème de Paul Verlaine, mêle, dans des variations de bleus et dans un mouvement continu à la Winsor McCay, la poésie de Paul Verlaine et la tendre histoire de la Petite Souris chargée d’échanger une dent de lait sous l’oreiller contre une petite pièce de monnaie. Dans Les Mouettes, Lara Mattelart part d’un poème de Andrée Chedid et, grâce à des marionnettes, évoque les souvenirs d’enfance d’une jeune femme avec son grand-père. Les logements de Judith Herbeth, d’après un poème de André Tardieu, mêle joliment plusieurs techniques (dessin, tissu et laine) pour une évocation des relations entre une mère et sa petite fille, entre protection et nécessaire liberté pour grandir.
Aujourd’hui, il faut bien évidemment éviter aux enfants une consommation pléthorique d’images animées sur les nombreux écrans accessibles autour d’eux et tenter de diriger leur attirance naturelle pour ces images vers des objets qui en valent la peine. Ce programme arrive à propos et, s’ils sont vus dans une salle de cinéma, la magie n’en sera que plus grande.
Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe
En sortant de l’école, à nous le monde !. Nature de Isis Leterrier ; Émerveillement de Martin Clerget ; Soleils couchants de Aurélie Monteix ; Chanson d’automne de JB Marchand ; Le Jardin perdu de Natalia Chernysheva ; La Clé des champs de Lucas Malbrun ; Liberté de David Stora ; Les Logements de Judith Herbeth ; Conquistador de Jérémie Cousin ; L’Eau discrète de Étienne Baillieu ; Les Mouettes de Lara Mattelart ; Abri de Julie Daravan Chea ; Le Monde de Baptiste Ratajski.
Poèmes dit par Cécile de France, Sara Giraudeau, Gaël Giraudeau, Emily Loizeau, Louis Chedid, Billie Chedid, Cyril Dion, Sylvie Genty, Céline Ronté, Antoine Schoumsky, Magali Rosenzweig, Jérémy Prévost et Lionel Tua (France, 40 minutes, 2025).