home > Films > Miroir aux alouettes (le) (1965)
Miroir aux alouettes (le) (1965)
de Ján Kadár & Elmar Klos
publié le mercredi 5 février 2025

par Jean Delmas
Jeune Cinéma n°8, juin-juillet 1965

Sélection officielle En compétition du Festival de Cannes 1965
Oscar du meilleur film en langue étrangère

Sorties le jeudi 12 mai 1966, et les mercredis 21 mars 2014 et 5 février 2025


 


La Tchécoslovaquie présentait à Cannes un film de Ján Kadár & Elmar Klos, Le Miroir à alouettes, titre original : "Le Magasin sur la promenade". Le magasin est cette mercerie dont, au temps de l’occupation allemande, Brtko se trouve brusquement promu "gérant aryen". Il le doit à sa femme qui a des ambitions pour deux, et à son beau-frère, fasciste slovaque ("gardiste") qui a des relations. En réalité, ce n’est pas une brillante affaire, c’est un "miroir aux alouettes".


 


 


 

La vieille juive qui le tient, Mme Lautmanova, n’a ni marchandise, ni clients et, pratiquement, c’est la communauté juive de la petite ville qui assure sa subsistance. Comme elle est vieille et vit en dehors des réalités, elle considère cet homme qui lui est envoyé comme un employé et lui, hors du réel aussi, personnage à la Charlot, incapable de se débrouiller, un peu lunaire, se prête à l’illusion. Entre l’un et l’autre, la vie de tous les jours crée des liens d’affection vraie.


 


 


 

Vient l’heure de la déportation des Juifs. Brtko saisi de peur - "si ce n’est pas toi, c’est moi", lui dit-il, il le dit - veut pousser Lautmanova vers le. convoi qui la conduit à l’extermination. Comme elle s’y refuse, il la pousse dans un placard, l’y retrouve morte et, dans une nouvelle impulsion, se pend. Ces dernières images sont sans doute pour les auteurs le point de cristallisation autour duquel le film est né et qui lui donne un centre. Pour les spectateurs, c’est presque un test. Certains d’entre eux (et, parmi eux, des journalistes de quotidiens, bons sujets pour les tests puisqu’ils n’ont pas le temps de réfléchir avant d’écrire), voudraient tellement que le "brave homme" reste un brave homme, qu’ils ne comprennent même pas pourquoi, diable, il se pend. Sans doute parce qu’ils se mettent à sa place et qu’à sa place, ils auraient trouvé cela tout naturel et n’auraient pas une minute songé à se pendre. Et alors ils trouvent cette fin très inutilement et péniblement "mélodramatique".


 


 


 

C’est se condamner à ne rien comprendre, car tout le film est précisément là pour montrer l’entière responsabilité du "brave homme" et que "aider à tuer" ou "laisser tuer" est aussi criminel que "tuer" - cela sous tous les régimes. Il faut bien le dire aussi pour ce journaliste avisé qui a vu, dans l’œuvre des auteurs de L’Accusé, un film "stalinien" (1). C’est aussi un thème de La Cage de verre (2), présenté à la Semaine de la critique.
On constate ainsi qu’une méditation capitale sur la responsabilité unit les homme de part et d’autre d’un "rideau de fer" désormais presque aussi rouillé que la Ligne Maginot. Finalement, le suicide de Brtko est le happy end. Ján Kadár et Elmar Klos ont trop de respect pour l’Homme, pour admettre que cet homme bon finisse comme un salaud. Il faut que dans un retournement impulsif, il puisse redevenir un homme bon et en mourir.


 


 


 

Il paraît que c’est un film "pas moderne". Ce n’est pas "moderne", cette prodigieuse manière de rendre présente la petite ville, liée à toute l’action - personnage de l’action, comme l’est aussi la boutique -, de la faire voir à travers les grandes vitres de cette boutique, passant et repassant sur la promenade dans son oisiveté affairée. "Ce n’est pas moderne", c’est de cette manière qu’on vantait Jean Renoir, il y a trente ans. Et de faire éclater l’homme à travers l’interprète. C’est ce que Ingmar Bergman, "démodé" lui aussi, considère comme la clef même de la mise en scène. Dans Le Miroir à alouettes, il y a la diversité dans l’intensité, difficilement imaginable du visage et du geste de cette vieille femme incarnée par Ida Kaminska. Mais il y a aussi Joseph Kroner. Quand on voit la réplique que sait donner à la directrice du théâtre juif de Varsovie, grande artiste de classe internationale, un acteur de théâtre slovaque, il y a cinq ans inconnu hors de son petit pays, et combien il est capable de "faire le poids", alors on pense que le cinéma tchécoslovaque, aujourd’hui, est en train de résoudre même ce qui fut longtemps son point faible, le problème de l’interprétation.

Jean Delmas
Jeune Cinéma n°8, juin-juillet 1965

1. L’Accusé (Obžalovaný) de Ján Kadár & Elmar Klos (1964).

2. La Cage de verre de Philippe Arthuys & Jean-Louis Levi-Alvarès (1965).


Le Miroir à alouettes (Obchod na korze). Réal : Jan Kadar & Elmer Klos ; sc : J.K., E.K. & Ladislav Grosman ; ph : Vladimir Novotny ; mont : Diana Heringova & Jaromir Janacek ; mu : Zdenek Liska ; déc : Frantisek Straka ; cost : Marie Rosenfelderova. Int : Ida kaminska, Jozef Kroner, Hana Slickova, Martin Holly (Tchécoslovaquie, 1965, 125 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts