par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°430, été 2024
Sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes 2024
Prix de la mise en scène
Sortie le mercredi 12 février 2025
Malgré quelques sélections cannoises, on ne peut pas dire que Roberto Minervini soit un cinéaste très connu - ses derniers films exploités en France ont mobilisé, les trois réunis, moins de 15 000 spectateurs. Il faut reconnaître qu’il parcourt un territoire difficile, celui du documentaire si bien mis en scène qu’il pourrait laisser croire à une fiction. C’était le cas avec Stop the Pounding Heart (2013), dont l’histoire d’amour entre deux adolescents au cœur d’une communauté agricole d’un fondamentalisme rigoureux semblait échapper à la simple observation (ce qui n’empêchait pas le film d’être remarquable).
Pas d’ambiguïté ici, puisque l’action se déroule en 1862, deuxième année de la Guerre de Sécession, dans une région non-identifiée - on parle de l’Ouest inexploré -, avec pour personnages une section de soldats yankees à la recherche d’ennemis dissimulés. Pas de grands espaces westerniens, une marche dans la plaine, puis dans une montagne également vide : les véritables ennemis sont la neige, le froid, la boue, le manque d’hygiène.
Les fringants membres du 7e de cavalerie à la John Ford sont loin. Les fantassins - les quelques officiers perdront rapidement leurs montures - sont sales, barbus, édentés, épuisés, leurs uniformes sont tachés, leurs casquettes déchirées. L’action est minimale et répétitive : pas d’affrontements, on monte les tentes, on prépare le feu, on soliloque ou on remercie le Seigneur, on apprend à recharger un colt, à démonter et nettoyer un fusil, à bouchonner un cheval quand il en reste, à goûter la sensation vraie de la neige sur le visage.
C’est quasiment un reportage sur le front, admirable dans sa reconstitution respectueuse, et qui serait guetté par l’ennui s’il n’y régnait cette attention scrupuleuse envers les gestes et les faits minuscules. Rarement la détresse du soldat et l’inutilité profonde de la chose guerrière - tous mourront à leur tour - auront été aussi fortement montrées. Le film a décroché le Prix de la meilleure réalisation et c’est justice.
Lucien Logette
Jeune Cinéma n°430, été 2024
Les Damnés (The Damned). Réal, sc : Roberto Minervini ; ph, mu : Carlos Alfonso Corral ; mont : Marie-Hélène Dozo. Int : René W. Solomon, Noah Carlson, Jeremiah Knupp, Tim Carlson (Italie-USA-Belgique, 2024, 89 mn).