par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection officielle de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2024
Sortie le mercredi 5 mars 2025
En 2017, dans un village reculé de l’Égypte du Sud, à El Barsha, les deux réalisateurs, engagés dans des mouvements féministes, venus y présenter leurs films, font la connaissance d’un groupe de jeunes filles qui ont créé une communauté théâtrale qui donne des spectacles de rue. Sans discours idéologique ni engagement politique, elles combattent le patriarcat et le poids des traditions avec un discours courageux et étonnamment novateur. C’est comme la découverte de bourgeoises gentilhommes qui feraient de l’agit-prop sans le savoir et c’est ce qui fascine les deux réalisateurs. Ils reviendront les filmer pendant plus de quatre ans.
Nada Riyadh décrit ainsi cette expérience : "Le seul fait d’être ensemble et de s’exprimer, de dire à voix haute ce qu’elles pensent, les inspire et leur donne la force. Vivant dans ce village reculé, elles ne sont pas exposées à la pensée féministe, mais elles comprennent parfaitement la force que leur donne le groupe". Et c’est tout à fait ce que montre ce film intelligent et émouvant sans rien de condescendant ni de méprisant. Ces sept jeunes filles, entraînées par une sorte de "leader(e)" charismatique, ne sont pourtant pas des révolutionnaires. Elles ont toutes des mères traditionnelles, des pères qui veulent décider du choix de leurs époux, souvent cousins ou proches de familles alliées. Et même leur religion, copte, qui leur offre autre chose que le voile et aussi, sans le savoir, certaines bases théâtrales issues de cette liturgie particulière, ne leur propose finalement que de se fondre dans le moule.
Certes, dans ce petit groupe, l’une se mariera et une autre aura un bébé, mais la meneuse de la bande poursuivra son rêve de s’inscrire à l’Université du Caire pour y suivre des cours de théâtre, même si le jeune homme, employé dans la même boutique, se moque d’elle en lui disant qu’elle ne saura même pas y traverser la rue… Il faut dire que ces jeunes filles n’ont aucune connaissance du théâtre et n’en font que de manière intuitive. Les exercices de concentration ou de relaxation sont appris sur Internet, tout comme les chorégraphies de l’une ou les chansons de l’autre. D’ailleurs, certains spectateurs, lorsqu’ils découvriront ce film dans lequel elles apparaissent, reprocheront à leur travail d’être trop chaotique. Mais c’est justement ce qui fait sa force, loin, bien loin des lieux emblématiques de la culture théâtrale égyptienne que sont Le Caire et Alexandrie.
Avec de belles images de Dina El Zeneiny, Ahmed Ismail et Ayman El Amir, un son parfait qui restitue bien les scènes de rue des actrices présentes et déterminées, Les Filles du Nil redonne espoir et provoque une réaction. D’autant que les réalisateurs, qui sont aussi les scénaristes de ce faux-vrai documentaire, ne proposent pas une vision angélique de la situation ni ne posent le théâtre comme la panacée à tous les problèmes.
Mais il y a quelque chose de novateur dans ce film, qui laisse la parole à tous et, notamment, au père comme le souligne Nada Riyadh : "Parfois la caméra donne à un protagoniste la liberté de faire ce qu’il ou elle veut faire ou dire. Le père de Haidi voulait qu’on l’aide à affronter sa fille". Le film qui aurait pu se terminer sur un constat d’échec, au contraire, montre des petites filles du village qui reprennent le flambeau et font revivre le théâtre, comme pour effacer les images du tréteau abandonné depuis longtemps.
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe
Les Filles du Nil (Rafaat Einy LL Sama). Réal, sc, : Ayman El Amir & Nada Riyadh ; ph : A.E.A, N.R. & Ahmed Ismael ; mont : A.E.A, N.R. & Ahmed Magdy Morsy ; mu : Ahmed El Sawy (Égypte-France, 2024, 102 mn). Documentaire.