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Échappée belle (l’) (2023)
de Pamela Varela
publié le mercredi 19 mars 2025

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°434-435, mars 2025

Sortie le mercredi 19 mars 2025


 


Un été, en province, un groupe d’acteurs et d’artistes se réunissent pour répéter une pièce et pratiquer leur art. Et c’est avant tout le sentiment de l’été que cherche à capter Pamela Varela : celui de la lenteur, de la langueur et de la paresse gratuite, pour en étudier ensuite l’impact sur ses personnages. Pour ce faire, elle recourt à des plans fixes dans un format carré, essentiellement tournés dans la nature foisonnante du village visité par la troupe, qui s’y déplace avec apathie. Le tout baigné dans une lumière peu contrastée et radieuse qui irradie la zone plus qu’elle ne l’éclaire.


 


 

Cette irradiation, qui contamine personnages et public, est accentuée par l’absence de musique, qui permet aux sons de l’environnement d’immerger le spectateur avec efficacité dans ce milieu bucolique. Mais si la lumière tend à l’uniformité, le travail du cadre, lui, génère un fort contraste. Car l’espace de chacune des séquences est fragmenté par de multiples plans qui évoquent, par le travail de composition raffiné entre avant-plan et arrière-plan, des tableaux vivants. L’usage d’une grande profondeur de champ accentue cet aspect. Soit une nature picturale dont la rigidité immanente fait écho à l’esprit initial des personnages, un esprit qui évolue durant le film, en se laissant contaminer par la magie du lieu.


 

Cette contamination s’exprime aussi au travers d’un autre parti pris : mélanger, sans les distinguer, les instants de répétition entre acteurs avec ceux les montrant au naturel. Ce mélange génère sur la nature de ce qui est vu et dit une confusion accentuée par les types de jeux auxquels recourent les interprètes : naturel en répétant la pièce, antinaturel à l’instant où leur personnage n’incarne pas un rôle. Une distinction qui, parce qu’elle s’amenuise à mesure que l’intrigue progresse, souligne habilement l’évolution intérieure des personnages.


 


 

On notera qu’amener du naturel là où il n’y a qu’artifice des relations clarifie la volonté de l’auteure, qui consiste non pas à dénoncer un comportement (le parisianisme envahissant la campagne), mais plutôt inciter à se laisser pénétrer par l’ambiance d’un ailleurs pour mieux se retrouver. Qui plus est, sont glissés çà et là quelques moments fantasmagoriques, sans que ces derniers soient annoncées, ni distingués des séquences "réelles", à la façon dont la réalisatrice procède avec les répétitions. Cette indistinction, rendue possible par le montage, achève de donner au film une ambiance à la limite de l’hallucination, qui sonne comme un appel au lâcher-prise et à la perte de soi. Très douce, l’œuvre, d’un érotisme élégant par la position des corps dans l’espace et les costumes des personnages, se situe quelque part entre le cinéma de Éric Rohmer et celui de Paul Vecchiali. Doté d’une troupe d’acteurs dont chaque membre rend son rôle aussi mystérieux qu’attachant, pourvu d’une esthétique aussi radicale que sensuelle, L’Échappée belle est un beau film d’été semblable à un film de famille.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°434-435, mars 2025


L’Échappée belle. Réal, sc : Pamela Varela ; ph : Prisca Bourgoin ; mont : Lucie Jego & Yannis Polinacci. Int : Astrid Adverbe, Dimitra Kontou, Marina Giani, Jeanne La Fonta (France, 2023, 88 mn).



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