par Charles Ficat
Jeune Cinéma en ligne directe
Huit nominations aux Ocars 2024
Sortie le mercredi 29 janvier 2024
Tant a déjà été écrit sur le film consacré aux années 1961-1965 de Bob Dylan qu’il serait présomptueux de vouloir ajouter quelques lignes à propos d’une œuvre qui a, d’ores et déjà, reçu une approbation critique et les faveurs du public. Force est de reconnaître cette reconstitution plaisante et réussie grâce au jeu des acteurs (Timothée Chalamet, Edward Norton, Monica Barbaro, Elle Fanning) et à l’atmosphère restituée de Greenwich Village.
Après la projection, lors du déroulé de la distribution, figurent les noms des producteurs : Timothée Chalamet, l’acteur principal, et Jeff Rosen, qui n’est autre que le manager de Bob Dylan depuis plus de trente ans, à l’origine de toutes les entreprises dylaniennes ces dernières années. Pourtant adapté d’un essai très rigoureux, Dylan Goes Electric ! de Elijah Wald (1), le film est authentiquement dylanien en ce qu’il modifie, déforme et recompose le passé. L’intéressé lui-même serait intervenu dans le scénario et aurait transmis quelques remarques au réalisateur, James Mangold. Les faits décrits ne se sont pas déroulés tels qu’ils sont racontés dans le film.
À ses débuts, Bob Dylan était coutumier du fait en inventant plusieurs versions de ses origines et de ses fugues, brouillant les pistes. Le documentaire sur la Rolling Thunder Revue de Martin Scorcese (2) comportait lui aussi plusieurs fausses pistes délibérées qui ajoutaient un zeste d’humour à une légende qui serait sinon par trop dorée. Dans Un parfait inconnu, on n’en finirait pas de pointer les libertés prises avec les faits et la chronologie, des relations avec ses petites amoureuses - le nom de Suze Rotolo a été changé en Sylvie Russo -, à sa fréquentation exagérée de Pete Seeger ou de Johnny Cash.
À l’inverse le rôle joué par un Dave von Ronk à son arrivée à New York est au contraire effacé - un figurant lui ressemblant apparaît au début quelques instants à l’écran -, alors que ce dernier a œuvré à l’enracinement du jeune Bob dans la scène folk. L’admiration portée à Woody Guthrie, elle, semble retranscrite à sa juste mesure.
Tous ces éléments sont finalement secondaires. Le but du film n’est pas de reconstituer la vie de Bob Dylan dans sa véracité mais au contraire de relancer le mythe auprès d’un public peu familier de sa vie et de son œuvre, notamment les jeunes générations. Le choix de l’acteur principal, très en vue, l’illustre. Loin d’être ridicule, il incarne son personnage sans le singer. Son interprétation des chansons, à défaut de restituer l’intensité des versions originales, convainc, de même s’agissant les parties revenant aux interprètes de Joan Baez, Pete Seeger ou Johnny Cash.
Il fallait rendre cette odyssée musicale lisible et compréhensible. À cet égard, le film est une réussite et le pari tenu. Loin de toute hagiographie, Un parfait inconnu restitue l’ascension d’un chanteur et ses métamorphoses dans un monde musical mouvant. Telle une tragédie grecque, le psychodrame de la nuit de Newport et le passage à l’électrique marquera, en 1965, la fin de l’âge d’or du folk new-yorkais. Bob Dylan était déjà passé à autre chose, traçant sa route sous les quolibets et les ressentiments de son public de la première heure.
Avec le recul, on s’étonne de la véhémence des réactions cette nuit-là, alors que les concerts électriques des années 1965-1966 marqueront un sommet dans le corpus dylanien. Peut-être le film exagère-t-il le conservatisme des organisateurs du festival, faisant apparaître ces derniers comme des puristes fermés à toute innovation, alors qu’en réalité un Pete Seeger interprétait des compositions originales et ne se limitait pas à un répertoire limité à des titres traditonnels. Au lendemain de ce concert, où Bob Dylan accompagné de Mike Bloomfield, Al Kooper, Barry Goldberg, et d’autres membres du Paul Butterfield Blues Band, livra la première performance électrique de sa carrière, le paradis de Greenwich Village aura vécu, ou à tout le moins, il entama un irrémédiable déclin.
En dépit d’une romantisation exacerbée, le film rappelle la grandeur de cette prestation où Bob Dylan fut hué, alors même qu’il atteignait un sommet. Il en ira de même tout au long de l’année 1966, mais c’est déjà une autre histoire et elle n’est plus racontée dans Un parfait inconnu.
Charles Ficat
Jeune Cinéma en ligne directe
1. Elijah Wald, Dylan Goes Electric !, Newport, Seeger, Dylan, and the Night That Split the Sixties Glasgow, Dey Street Books, Harper Collins Publishers, 2015.
2. Rolling Thunder Revue : A Bob Dylan Story de Martin Scorsese (2019).
Un parfait inconnu (A Complete Unknown). Réal : James Mangold ; sc : J.M. & Jay Cocks, d’après l’ouvrage Dylan Goes Electric de Elijah Wald ; ph : Phedon Papamichael ; mont : Andrew Buckland & Scott Morris ; déc : François Audouy ; cost : Arianne Phillips. Int : Timothée Chalamet, Edward Norton, Elle Fanning, Monica Barbaro, Boyd Holbrook, Dan Fogler, Norbert Leo Butz, Eriko Hatsune, Big Bill Morganfield, Will Harrison, Scoot McNairy, P. J. Byrne, Michael Chernus, Charlie Tahan, David Alan Basche, Kayli Carter, Michael Chernus, Joe Tippett (USA, 2024, 140 mn).