par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection ACID au Festival de Cannes 2024
précédé de Un pincement au cœur (2023)
Sortie le mercredi 2 avril 2025
Deux documentaires de Guillaume Brac sont présentés en une même séance, le long métrage, Ce n’est qu’un au revoir (66 minutes), précédant le court (38 minutes), Un pincement au cœur, présenté au festival Visions du réel 2023, mais jamais distribué en salles. Les films constituent les deux volets d’un diptyque. Les thèmes en sont proches : le monde des adolescents et adolescentes de 15 à 18 ans, auxquels le cinéaste donne la parole sur le mode rohmérien des Contes de juillet (2017) ou de L’Île au trésor (2018). Les deux métrages mettent en avant, en milieu scolaire, deux classes sociales différentes et se répondent, l’un étant au nord de l’hexagone, l’autre au sud.
On sait l’importance que Guillaume Brac attache aux lieux, à la beauté des lieux comme la base de loisirs de Cergy-Pontoise, espace de plaisirs nautiques et de flirts décrite dans L’Île au trésor. Un pincement au cœur a été tourné en 2021 à Hénin-Beaumont, ville où Maurice Pialat a situé L’Enfance nue (1968) et Passe ton bac d’abord (1978), deux œuvres très importantes pour Guillaume Brac. Il y a a trouvé un territoire sinistré qui est devenu le fief de Marine Le Pen. Pourtant, la beauté est survenue avec Linda et Irina, dont il a fait ses deux protagonistes. "Elles étaient le trésor caché de Hénin-Beaumont".
2021 est la période de Covid. Se porte encore, dans plusieurs scènes, le masque chirurgical. Nous sommes aux derniers jours de classe avant les "grandes vacances". Il règne une belle lumière de solstice d’été. Temps de mise en suspens, d’ambivalence entre l’attente des congés et l’angoisse de la séparation. La question se pose de façon aiguë pour Linda dont la famille déménage chaque année. Cette situation lui a appris à s’endurcir, à ne jamais s’attacher à personne, sauf, bien-sûr, à sa famille, comme sa mère le lui a inculqué. Dans une scène dite "d’orientation", Linda déclare vouloir travailler aux Urgences. Linda et Irina, sans doute deux beurettes, n’envisagent pas d’études longues et veulent s’engager dans le médico-social. Irina est beaucoup plus calme, moins inquiète. Elle oppose une fin de non-recevoir à la psychologue scolaire lorsque celle-ci tente de l’interroger sur son père : "Je ne le connais pas". Elle est l’ainée d’une fratrie de sept. Sa mère, dit-elle, est seule. Elle souhaite s’occuper d’enfants.
La famille n’apparaît pas ou est présente in absentia : comme surmoi maternel. Les choix professionnels le montrent. Une camarade, Ornella, passe sporadiquement. Irina, la plus jolie, est courtisée ; elle accorde à Naël, une séance de jogging, mais c’est tout. Elle semble fuir la présence des garçons. Le sujet du film est l’amitié, fragile, passionnée entre Irina et Linda. Elles dansent, prennent des selfies, se moquent de leur directeur habillé en complet cravate alors qu’il fait chaud : "Y êtes-vous obligé ?"… Une série de plans montre le lycée vide. Linda laisse tomber le masque d’impassibilité et pleure. Mais bientôt, on retrouve le trio Linda, Irina et Ornella en maillots de bain sur la plage de Calais. Le court métrage s’achève sur la chanson de Françoise Hardy, "L’Amitié". Comme une échappée belle.
En 2019, Guillaume Brac avait tourné À l’abordage dans la Drôme. Bientôt, il s’y est installé pour s’offrir à la fois un nouveau cadre familial et un décor de cinéma différent. Il choisit, pour Ce n’est qu’un au revoir, le lycée de secteur de Die, qui fait aussi internat. Le temps du film est également la fin de l’année scolaire. Les élèves sont légèrement plus âgés ; ils passent leur bac et sont préoccupés par les finasseries administratives de Parcoursup. Quelque chose s’achève tandis que se pose, de façon bureaucratique et non sur le mode du désir, la question de l’avenir. Certains ne savent pas exactement ce qu’ils veulent ; d’autres envisagent une carrière. Science po ? Tous regrettent déjà la vie de groupe qu’ils ont menée à l’internat. "Une expérience qu’ils ne retrouverons jamais plus". Entre l’avenir incertain et cet idyllique "jamais plus", le sentiment de l’éphémère les gagne, insidieusement.
Louison est un garçon en salopette, aux dreadlocks oxygénées. Sinon, la gent féminine domine : Aurore, Nours, Jeanne, Diane. Le récit est divisé en chapitres qui portent leurs noms. On entend leur voix en off, tandis que la caméra se promène alternativement sur leur visage, pris en plan large, l’image ne correspondant pas toujours au son. Les discours illustrent leur inquiétude, comme celui de l’impression laissée par la manifestation de Sainte Soline, en protestation contre la construction des méga-bassines. Première confrontation pour Diane avec les forces de l’ordre. Ou bien la relation, sur un ton étrangement détaché, de la disparition de la sœur d’une autre jeune fille, modèle d’indépendance pour elle, au cours d’une randonnée. Accident ? Suicide ? La subtilité du montage de Paola Termine permet de modérer la gravité de ce qui vient d’être dit et de rebondir sur l’énergie des adolescents.
Le présent, c’est le bac philo. Les candidats célèbrent la fin de la première épreuve en organisant une fête dans le dortoir. Et une séance de luge sur les matelas qu’ils ont retirés des lits. Ils s’expriment par la danse - et il y aura d’ailleurs plusieurs scènes musicales à base de folk français (La Rue Kétanou, Moriarty, Luciole), de reggae (William Spring, Roll & Record, Dan I Locks, Ganjah Friend, Supah Frans), de rap (Paul-Victor Vettes, PV Nova, Cyrus North), et du chant lyrique de Electrelane en clôture du film. L’eau participe, on le sait, de l’imaginaire du cinéaste. De même, ce sont encore une fois les corps qui parlent. Parmi les plus belles séquences figurent les baignades dans la Drôme.
Guillaume Brac avait proposé pour le tournage un certain nombre de règles, comme celle de ne pas interagir avec lui-même, le chef opérateur ou l’ingénieur du son. De petits exercices avaient été effectués pour permettre aux protagonistes d’apprivoiser la caméra avant de se mettre collectivement d’accord sur le point de départ. "Ensuite, ce sont elles qui emmenaient la scène là où elles souhaitaient", dit-il. Devant la caméra, elles ont été, grâce à leur parole, leur assurance et à leur aisance devant l’objectif, l’élément moteur. Comme dans Un pincement au cœur, la famille reste hors-champ. Ses tenants lieu, dans la vie comme à l’écran, la cheffe d’établissement, est déterminée sans excès d’autoritarisme : "Pas de garçons dans le dortoir des filles". Une professeure, devant qui Louison passe une "colle" avant l’examen, le félicite pour son originalité et son engagement. L’aventure des enfants-rois comme celle, plus incertaine de ceux de Hénin-Beaumont, enchantera les spectateurs qui se souviennent, avec émotion ou nostalgie, de leur premier rite de passage.
Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe
* Un pincement au cœur. Réal, sc : Guillame Brac ; ph : Emmanuel Gras ; mont : Paola Termine ; mu : Paola Termine (France, 2023, 38 mn). Documentaire.
* Ce n’est qu’un au revoir. Réal, sc : Guillame Brac ; ph : Alan Guichaoua ; mont : Paola Termine (France, 2024, 66 mn). Documentaire.