par Bernard Chardère
Jeune Cinéma n°344-345, printemps 2012
Yves Boisset, La vie est un choix, Paris, Plon, 2011
Enfin, le premier tome. Sympathique lecture, et revigorante, d’un auteur qui n’a jamais la grosse tête et qui, seul en France ou presque, à signé des films politiques (se passant ici). C’est-à-dire : ayant comme sujets des épisodes de la vie publique, décrivant des personnages qui constituent ce microcosme, épinglant, dans notre Histoire, d’épineuses affaires - Dreyfus, Seznec, Salengro, Jean Moulin, Pierre Laval, le juge Fayard (Renaud) - traitant de questions qui dérangent : L’Attentat, RAS, Dupont Lajoie, Allons z’enfants. C’est à ne pas dire : oublié par les tenants du scénario déstructuré ou de la pseudo-provocation style Libé, honni par les contempteurs de la "fiction de gauche", détesté par les plaisantins qui fuient toute implication sociale parce qu’insuffisamment révolutionnaire…
Vingt longs métrages sur les écrans, une trentaine de titres pour la TV - dont le remarquable Le Pantalon (1997). On comprend que, de temps à autre, le cinéaste s’accorde une inspiration dans un genre moins tendu - Un taxi mauve (l’Irlande, Philippe Noiret, Fred Astaire). Ou signe quelques polars nerveux, sans pathos - Espion, lève-toi (Zurich, Michel Audiard, Lino Ventura). Son arc a plusieurs cordes.
Longtemps assistant-modèle pour Jean-Pierre Melville, René Clément, Vittorio De Sica, Riccardo Freda, qu’il peint à mots choisis, il a travaillé au scénario de tous ses films, avec notamment Claude Veillot, Jorge Semprun ou Alain Scott, bâtissent des génériques de "troupes" : Patrick Dewaere, Gérard Lanvin, Jean Carmet, Christophe Malavoy, Bernard-Pierre Donnadieu…
Qu’il résume, en passant, de petits faits vrais à faire froid dans le dos, qu’il révèle une nouvelle vedette ou narre une anecdote de tournage, Yves Boisset ne s’appesantit ni n’épilogue - la page intitulée "le rivage des Syrtes" vaut son pesant de relecture. Pour dire qu’il pleut, il dit : "Il pleut" ; c’est un classique !
Que n’est-il américain… Sur son écriture, comme sur ses images, s’abattraient les éloges. Le petit-maître, selon la condescendance de nos penseurs de service, peut donner tranquillement rendez-vous au second centenaire du cinéma : il y sera encore, prenons le pari… et élargissons le débat.
À partir de la mise en échec de son projet Barracuda (sur le commerce des armes par la France), Yves Boisset raconte qu’un ministre voué à l’exécution des belles œuvres pour le gouvernement de gauche-sic comprit que, au lieu de faire de la pub à certains films en tentant de les censurer à leur sortie, mieux valait les étouffer dans l’œuf en intimidant leurs producteurs : contrôle fiscal, etc. Le système a fait ses preuves "et tous les gouvernements qui se succédèrent par la suite l’ont utilisé avec succès. À telle enseigne que depuis les années 1980, il est à peu près impossible de citer un film français qui mette réellement en cause le pouvoir ou les institutions en place".
Revigorant. Pour dire qu’il pleut, il dit : "Il pleut."
Dans les annés 30, au village, le garde-champêtre annonçait le samedi, après un roulement de tambour : "Ce soir, un grand film…" (suivi du titre). Cette réclame ne s’appelait pas encore communication, mais a-t-on fait mieux, depuis, comme critique ? Le coup d’envoi ayant été donné par le télégramme définitif de Louis Lumière à son opérateur en Australie : "Choisissez mieux sujets."
Le temps, qui s’avance masqué, révèle un critère absolu. Pour regarder un film, choisir une heure tardive : si l’on s’assoupit, c’est qu’il n’intéresse pas vraiment ; si le film est bon, vous ne vous endormez jamais.
Avec les grands films de Yves Boisset, fermer l’œil, impossible. Et puisque le spectateur tient le coup, c’est que le film le tient aussi. À notre époque de petites natures, voilà qui méritait bien un roulement de tambour.
Bernard Chardère
Jeune Cinéma n°344-345, printemps 2012
Yves Boisset, La vie est un choix, coll. Abeille, Paris, Plon, 2011, 466 p.