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Guerres de Christine S. (les) (2022)
de Philippe Vallois
publié le mercredi 9 avril 2025

par Anita Linskog
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 9 avril 2025


 


Philippe Vallois est un cinéaste qui depuis les années soixante dix poursuit un travail expérimental et indépendant. Il a porté à l’écran la question du genre et de l’homosexualité dans plusieurs de ses films. Il s’est également attaché à réaliser des portraits comme celui de l’artiste surréaliste Huguette Spengler (1) au début des années 80 (1980 et 1983), dans le Paris underground de l’époque. Une dizaine d’années plus tard, il collabore avec sa fille Christine Spengler (2), photographe de guerre dont il est devenu l’ami et confident. Un film est né de leur périple au Liban, On dansait sous les bombes (1994). Il lui consacre, en 2022, ce documentaire Les guerres de Christine S.


 

Entre Ibiza, Paris et le Liban, le documentaire s’attache à révéler, sous le maquillage, les extravagances et la drôlerie naturelle, une personnalité courageuse, bouleversante et dotée d’une énergie vitale à toute épreuve. C’est en premier lieu le caractère à la fois fantasque, loufoque et excentrique qui retient l’attention du spectateur pour, peu à peu, laisser place à son œuvre, au travers de ses photos en noir en blanc issues des conflits qu’elle a couverts avec son appareil-photo, et enfin dévoile son théâtre intérieur, pétri de culpabilité et de drames liés à son histoire personnelle.


 


 

Christine Spengler est née en 1945. De Marseille à Madrid, son enfance est baignée dans le surréalisme de sa mère et l’Espagne de Goya qu’elle admire sur les murs du Prado. En effet, après le divorce de ses parents - sa mère, artiste surréaliste, et son père, un industriel -, la petite fille de 7 ans est envoyée à Madrid, chez sa tante et son oncle, diplomate. Lui l’initie à la corrida et aux spectacles de flamenco ; elle l’emmène des heures sillonner le musée du Prado. Christine Spengler gardera en tête les tableaux de maîtres qui forment son regard de future photographe, et la couleur rouge, si présente dans les conflits qu’elle couvrira plus tard.


 

En 1970, elle voyage au Tchad avec son jeune frère Éric et il lui prête son Nikon. Sa vocation est née, elle sera photographe. Peu à peu, elle met au point une façon de photographier dite "frontale". Aucune photo volée. Elle se place toujours au centre du terrain de guerre et ne photographie que les victimes qui acceptent son objectif et souvent la fixent droit dans les yeux. En 1973, elle part pour le Vietnam. Elle est la seule femme photographe à Saigon. Ses photos sont publiées dans le New York Times - la célèbre "Saigon entre dans l’année du buffle", ou aussi "Le départ des Américains", où l’on voit une jeune Vietnamienne cirer, pour la dernière fois de sa vie, les bottes des GI’s, une heure avant la paix. Ces clichés deviennent emblématiques du conflit, tout comme, quelques mois plus tard, sa photo au Cambodge du bombardement de Phnom Penh.


 


 

Mais les tragédies personnelles se mêlent à celles des conflits qu’elle couvre et aux deuils qu’elle subit. Elle est dévastée par le suicide de son frère qu’elle apprend par télégramme alors qu’elle est à Saigon. Suite à ce décès, elle coupe les ponts avec sa mère qu’elle ne reverra pas jusqu’à la mort de cette dernière. Pour surmonter cette épreuve elle partira pour le Liban en guerre. Depuis lors, elle s’est toujours tenue prête à partir, à capturer dans son objectif les conflits (en Irlande du Nord, dans le Sahara occidental, en Afghanistan, au Kosovo…) jusqu’en Irak en 2003, son dernier reportage.


 

Le jour de l’enterrement d’Huguette, elle fait la connaissance de son futur compagnon, Philippe Warner, admirateur inconditionnel de sa mère. Une rencontre à l’image de son existence, entre deuil et pulsion de vie. C’est donc grâce à lui, et à l’ami commun Philippe Vallois et ses vidéos, que Christine a renoué avec sa mère après sa mort. Et si ses photos témoignent de "la face obscure du monde", elle s’est mis à exorciser les traumatismes de guerre, en réalisant des photomontages de couleurs vives comme autant d’offrandes à la vie lui permettant d’affronter son lourd passé familial. Ces réalisations dédiées à ses disparus, faits de coquillages, de bijoux, de tissus colorés traduisent une forme de réconciliation avec le Surréalisme auquel l’avait initiée sa mère. Philippe Warner va encourager ce retour à la couleur. Elle retourne encore sur le terrain et photographie le conflit du Kosovo et la jungle de Calais. Parallèlement, elle décide d’écrire son autobiographie Une femme dans la guerre.


 

Le documentaire est construit avec fantaisie et créativité, distance et humour à l’image de Christine. Avec l’idée d’un film en train de se faire, il entremêle ses interventions devant la caméra, ses confidences émouvantes, celles d’Huguette sa mère et parfois celles de Philippe Warner ainsi que des incursions et la voix off du réalisateur, avec des animations, d’après photos et vidéos qui tiennent lieu d’archives cinématographiques. Ils constituent les jalons d’un parcours en première ligne de la vie.

Anita Linskog
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Huguette Spengler, ma patrie, la nébuleuse du rêve de Philippe Vallois (1983).

2. Christine Spengler.


Les Guerres de Christine S. Réal, sc, ph, mont : Philipe Vallois. Int : Christine Spengler, Huguette Spengler, Philippe Vallois (France, 2022, 88 mn). Documentaire.



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