par Anita Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection officielle du Festival de Sundance 2024
Sortie le mercredi 9 avril 2025
Sebastian est le deuxième long-métrage de Mikko Makela (1). L’action se situe à Londres, sur la scène culturelle du monde de l’édition. Le film traite, au travers d’une quête identitaire, du lien complexe entre la vie vécue et le monde écrit.
C’est le portrait de Max, un jeune et bel Écossais de vingt cinq ans, vivant et travaillant à Londres. Il y mène une double vie : aspirant écrivain d’un côté et "Escort Boy Gay" de l’autre sous le nom de Sebastian.
Ainsi le voit-on dès le début du film rencontrer un homme plus âgé qui le paie en échange de services sexuels. Ensuite, on le retrouve au sein d’une réunion d’un magazine littéraire pour lequel il est pigiste. Max, travaille en même temps à l’écriture de son premier roman, dont le personnage central est un travailleur du sexe appelé Sebastian. L’immersion artistique est essentielle à la construction de son récit. Il n’est pas un travailleur du sexe qui écrit un livre, mais bien un apprenti-écrivain qui enquête sur ce milieu. Pourtant, personne ne sait que les situations décrites dans son roman sont le fruit de son expérience personnelle, et ne sont donc pas simplement documentées par les entretiens relevant de son investigation.
Tandis que Max apparaît timide et studieux, Sebastian se révèle audacieux, érotique et sensuel. Son corps vibre sous l’excitation et la fascination de chaque client. Ce sont souvent des hommes plus âgés, tel Daniel (Ingvar Eggert Sigurðsson,) un homme d’affaires qui le considère comme une simple transaction ou encore des hommes isolées en manque d’affection. Son éditeur lui fait un jour remarquer le caractère un peu répétitif et lassant des aventures de Sebastian. Max ose alors se risquer dans ses rencontres sexuelles plus aventureuses. Lors d’une orgie, les drogues qu’il prend pour rester éveillé toute une nuit l’empêchent d’honorer un rendez-vous important le lendemain à la rédaction du magazine. Il rate ainsi la chance rare d’interviewer Bret Easton Ellis (2). Une partie du film est précisément jalonnée par des clips videos et interviews de l’auteur de American Psycho (2000) qu’écoute Max en vue de cet entretien et dont le style descriptif l’inspire pour son propre travail. Lorsque Sebastian rencontre Nicholas (Jonathan Hyde,) un éditeur sensible et ancien conférencier, son rôle d’escort prend un nouveau sens et Max ne tarde pas à montrer sa désorientation et ses failles.
Ce long métrage, superbement réalisé, alterne les gros plans et les plans à distance pour mieux épouser l’itinéraire du personnage, entre sphère publique et sphère intime. L’aura de l’acteur principal, Ruaridh Mollicaet la qualité de son jeu sont captivantes. Au delà d’une critique apparente des tendances actuelles du monde de l’édition qui privilégie les récits avec dévoilement à la première personne et issus d’expériences personnelles atypiques voire traumatisantes, le propos du film est véritablement d’explorer la création littéraire et ses limites. Elle est ici montrée comme le résultat complexe d’une recherche artistique façonnée d’expériences.
Et c’est au travers de l’évolution du personnage, qui peut apparaître comme un calculateur cynique au départ et se révèle rapidement vulnérable et en quête d’une vérité de soi, que le film prend une toute autre dimension. Max a besoin d’inspiration, d’expérience vécue et de compréhension pour créer. Il cherche l’étincelle qui permettrait à ses mots d’exploser sur la page blanche, ce que suggère en permanence l’alternance entre des scènes de sexe très physiques, érotiques et celles où l’on voit Max enveloppé d’un silence religieux et d’une réflexion tranquille taper ses rapports sur son ordinateur. Cette dualité prégnante entre imagination et matière empirique, que rythment les scènes diurnes et nocturnes, est au cœur du film.
En choisissant de s’immerger, Max abandonne distance et objectivité pour se concentrer sur l’expérience intérieure des évènements extérieurs. Il s’en remet à sa fascination du sexe, de l’art et des liens qu’il tisse par ses explorations sensorielles. Et finalement il accepte sans le savoir ni le vouloir, que son projet initial échappe à son contrôle... Enfin le film nous invite à réévaluer une certaine vision du travail du sexe masculin. En effet les récits LGBTQ+ le considèrent souvent comme une conséquence, une cause de traumatismes et d’abus desquels il faut s’échapper. En explorant la complexité émotionnelle de cette profession avec le désir profond de l’accepter, Max révolutionne à sa façon une certaine évolution artistique du récit classique d’apprentissage, en offrant une voix authentique et choisie.
Anita Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe
1. Son film est un long métrage, Entre les roseaux (A Moment in the Reeds) date de 2017 et a été sélectionné et récompensé dans plusieurs festivals. Entre ces deux films, il n’a réalisé que deux courts métrages.
2. Le romancier Bret Easton Ellis, né en 1964, est considéré comme un auteur de la "Génération X" (ou "Bof génération"). Il a connu le succès à 21 ans, dès son premier ouvrage, en 1985, Moins que zéro. En 1991, American Psycho a suscité de très nombreuses controverses et a été adapté au cinéma par Mary Harron en 2000. Il a avoué, en 2019, que tous ses ouvrages étaient autobiographiques.
Sebastian. Réal, sc : Mikko Mäkelä ; ph : Iikka Salminen ; mont : M.M. & Arttu Salmi ; mu : Ilari Heinilä. Int : Ruaridh Mollica, Hiftu Quasem, Ingvar Sigurdsson, Jonathan Hyde, Lara Rossi, Leanne Best, Dylan Brady, Fleur Keith, Akbar Kurtha, Marcus Macleod, Laurent Maria, Pedro Minas, Matthias Moret, David Nellist (Finlande-USA-Belgique, 2024, 110 mn).