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Comolli, Jean-Louis (livre)
Jouer le jeu ? (2022)
publié le dimanche 13 avril 2025

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°417-418, octobre 2022

Jean-Louis Comolli, Jouer le jeu ?, Verdier, 2022.


 


Le 19 mai 2022, Jean-Louis Comolli est mort. Le même jour, est sorti chez Verdier, jaune comme le soleil, Jouer le jeu ?
"Et si le cinéma a encore quelque sens, c’est qu’il désigne sans cesse la coupure entre champ et hors-champ, entre visible (dans le cadre) et non-visible (hors cadre)". Ainsi commence ce petit livre.
Dans le champ, le cadre et le visible, c’est la vie d’un homme de cinéma, réalisateur, scénariste et écrivain qui se souvient du film de John Ford, Les Raisins de la colère (1940), pour lui "le film hollywoodien le plus radical contre le capitalisme". Et puis, hors-champ, hors cadre, le non-visible, c’est la maladie qui le surprend, brutalement et le cloue sur le lit d’un hôpital dont il ne sortira pas.

Ce livre alterne entre cadre et hors-cadre, visible et invisible, cinéma et maladie, tandis que "la petite voix", mentale, de Jean-Louis Comolli, le parcourt et guide ses mots lors des égarements de sa pensée, de ses errances et de ses doutes. Comme parfois de sa conviction que "le cinéma est une question de transmission des expériences, des présences, et des rêves même, et de cette part de fiction que chacune ou chacun porte en lui". Il évoque sa passion pour le documentaire et son long combat pour en écrire l’histoire, le documentaire "est le mode majeur de ce qui persiste au cinéma". Il cite deux films marquants récemment sortis : un film algérien, 143, rue du désert de Hassen Ferhani (2019), et le film soudanais Talking About Trees de Suhaib Gasmelbari (2019) la belle et triste histoire d’une salle de cinéma à Khartoum (1).

Alors que dans l’invisible, dans le hors-cadre, le médecin lui conseille de "vivre le moment présent", il considère alors la réalité politique et "la nausée le prend devant la montée des rumeurs fascistes". Alors, il songe à la mort au cinéma, et repense à Ava Gardner dans La Comtesse aux pieds nus (1954), attendant qu’elle revienne, toujours vivante, à l’écran.
Toute sa vie de cinéaste, Jean-Louis Comolli s’est battu pour la justice, la liberté, la fraternité, et dit-il, haut et fort : "[…] contre le fascisme à la française - et contre l’antisémitisme - en filmant le Front national". Il s’est bagarré aussi avec le directeur artistique des Cahiers du Cinéma, dont il démissionnera avec son ami Jean Narboni. C’est dans les années 1985 qu’il passe au cinéma documentaire. Malgré sa clairvoyance visionnaire sur la société de l’argent et du pouvoir, montrant que ce cinéma pour lequel il se rebelle n’a aucune chance de gagner le grand public, il continue à reconnaître que la fiction est un moyen de s’évader du monde.
S’évader du monde ou jouer le jeu ? Peut-être voulait-il dire, pour reprendre une phrase célèbre de Mai 68, "Arrêtez le monde, je veux descendre".
Ce petit livre, précieux comme la voix rieuse de son auteur, offre au lecteur un inespérable et insaisissable désir de liberté, loin de la marchandisation du monde et de la pensée.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°417-418, octobre 2022

1. "Talking About Trees", Jeune Cinéma n°398, décembre 2019.


Jean-Louis Comolli, Jouer le jeu ?, Lagrasse, Verdier, collection La petite jaune, 2022, 96 p.



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