par Henri Welsh
Jeune Cinéma n°174, mai 1986
Sélection Cannes Classics du Festival de Cannes 2024
Sorties les mercredis 16 avril 1986 et 23 avril 2025
Financé par un des producteurs indépendants les plus féconds d’Espagne - Elias Querejeta, à qui on doit, entre autres films, Deprisa deprisa, El Sur, Feroz (1) -, ce premier long métrage d’un professeur d’électronique, a de quoi surprendre et convaincre. En effet l’auteur, également scénariste, Montxo Armendariz a choisi de ne pas donner à son film un caractère trop démonstratif.
Enraciné dans le pays basque, avec ses chants, sa musique et ses parties "de mains nues" traditionnelles, il n’offre comme repère que la situation de misère des habitants de ce petit village, et l’effort de l’un d’entre eux, Tasio, pour rester libre. Mais libre ici, ne veut pas dire : délivré. Il n’y a aucune allusion d’ordre historico-politique dans la chronique de la vie de Tasio qui se déroule sous nos yeux depuis ses dix ans jusqu’à un âge indéterminé, où sa fille lui annonce qu’elle va se marier. Libre pour Tasio, cela commence par être le meilleur pour trouver les nids de cailles et renégocier une de la couvée contre un morceau de chocolat par exemple, ou bien encore être capable de "charger" seul la charbonnière de son père à 14 ans, ou enfin de refuser de quitter sa montagne et ses habitudes de braconnier pour aller chercher une "situation" meilleure à la capitale Vitoria.
Sans cesse, le réalisateur nous ramène par de lents travellings sur les vallons et les forêts au cœur même de cette région à laquelle Tasio semble attaché par des liens indestructibles. Les séquences de long labeur sur le cratère des charbonnières, les marches inquiètes au moment de relever les lacets, les scènes plus quiètes des bals paysans, tout est mis en œuvre pour que nous, qui sommes d’ailleurs et qui avons un regard de scrutateur, nous nous laissions gagner par cet appétit de vie collée au terrain, au terreau.
Et puis les événements marquants sont : le mariage de Tasio, la naissance du fils de Tasio, la mort prématurée de Paulina, l’épouse de Tasio... comme si les sentiments et les heures de cette famille comptaient plus encore que l’Histoire - absente énigmatique du film. En somme, les choses importantes de la vie sont celles qui concernent très immédiatement la subsistance et la reproduction. Il n’est pas si loin que cela le temps où de tels "Raboliots" pouvaient aussi bien se rencontrer dans certaines régions de France. Seulement reste un sentiment de frustration. Ce manque de référence aux événements contemporains de la vie de Tasio laisse sur sa faim. Sans doute par excès d’urbanité et de volonté de comprendre, Tasio ne peut nous offrir que les images d’une vie, ce que le film traduit et met en œuvre de façon tout à fait remarquable.
Henri Welsh
Jeune Cinéma n°174, mai 1986
1. Vivre vite ! (Deprisa, deprisa) de Carlos Saura (1981) ; Le Sud (El sur) de Víctor Erice (1983) ; Feroz de Manuel Gutiérrez Aragón (1984).
Tasio. Réal, sc : Montxo Armendariz ; ph : José Luis Alcaine ; mont : Pablo G. del Amo ; mu : Ángel Illarramendi ; déc : Gerardo Vera ; cost : Maiki Marín. Int : Patxi Bisquert, Isidro José Solano, Garikoitz Mendigutxia, José María Asín, Elena Uriz, Enrique Goicoechea, Nacho Martínez, Amaia Lasa, Miguel Rellán, Paco Sagarzazu (Espagne, 1984, 95 mn).