Documentaire sur le fond, fiction sur la forme, ce film retrace un crime récent de l’histoire politique tunisienne, qui a choqué la population, comme les attentats de novembre 2015 ont bouleversé la France au même moment.

Achraf, 14 ans, accompagne son cousin Nizar (Mabrouk de son vrai prénom), 16 ans, qui conduit ses brebis dans la montagne de Mghila au centre ouest tunisien : là où il y a de l’herbe, un peu d’eau et de si beaux panoramas. Ils ont franchi un grillage, les ainés le leur avaient interdit mais c’était le territoire de leur enfance, et Nizar connaissait le chemin pour éviter les mines. Ils barbottent avec bonheur dans une petite mare, avant d’être très violemment tirés de leur sieste par des tueurs qui épargnent provisoirement Achraf pour qu’il ramène aux siens la tête de Nizar.

S’agissait-il d’un avertissement terrifiant pour interdire aux petites communautés rurales l’accès à une zone occupée par des terroriste, ou y avait-il un règlement de compte plus ciblé sur un ado que les tueurs soupçonnaient de pouvoir les dénoncer ? "Qu’est-ce que vous faites ici ?" ont crié les tueurs avant de cogner. Achraf, assommé, sidéré, ne peut témoigner de la mise à mort de son cousin.
L’émotion suscitée par ce drame en Tunisie se double d’une indignation générale sur l’obscène voyeurisme de journalistes forçant les portes des victimes, comme celles d‘une étable, alors que les délais d’intervention des services publics avaient braqué les proches de Nizar dans un renoncement à leur soutien.

La mère de Nizar veut surtout, sans attendre, retrouver et laver la dépouille de son fils pour lui donner une sépulture digne. Achraf les guide, quelques images du drame lui reviennent alors que les tueurs diffusent une vidéo … il aurait pu les reconnaitre, il était lui-même en danger. Dans cette région particulièrement déshéritée du centre ouest de la Tunisie, le terme "rouge" désigne ceux qui sont vaillants, solides, qui affrontent la réalité. C’est aussi le terroir de Mohamed Bouzizi, mort début 2011 après son geste d’auto-immolation qui avait déclenché le Printemps arabe (1).

Le film a été réalisé dans des conditions difficiles, compte tenu du sous-équipement de la région, mais les figurants, tous débutants, ont travaillé d’arrache-pied, y compris leur langage : le résultat est d’autant plus authentique. C’est le deuxième long métrage de Lofti Achour, surtout investi dans le théâtre et les courts métrages maintes fois primés. Le film Les Enfants rouges, en compétition au festival de Locarno 2024, a aussi été sélectionné dans de nombreux autres festivals, où il a remporté plus de quinze prix.

Sylvie L Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Harcelé, humilié, dépouillé par une administrations corrompue, le vendeur ambulant Mohamed Bouazizi (1984-2011) s’est immolé par le feu le 4 janvier 2011 à Ben Arous. Cet acte est à l’origine des émeutes qui ont déclenché la révolution tunisienne évinçant le président Zine el-Abidine Ben Ali, et plus généralement du Printemps arabe.

Les Enfants rouges. Réal : Lotfi Achour ; sc : L.A., Natacha De Pontcharra, Doria Achour & Sylvain Cattenoy ; ph : Wojciech Staron ; mont : Erwin Ryckaert & Malek Chatta ; mu : Jawhar Basti, Venceslas Catz. Int : Ali Hlali, Wided Dadebi, Yassine Samouni, Jemii Lamari, Younes Naouar, Salha Nasraoui, Eya Bouteraa, Latifa Gafsi (France-Tunisie-Belgique-Arabie saoudite-Qatar, 2024, 98 mn).