par Jean Delmas
Jeune Cinéma n°16, juin-juillet 1966
Sélection officielle En compétition du Festival de Cannes 1966
Palme d’or
2 Oscars 1967 : Meilleur Film, Meilleur Scénario
Sorties le vendredi 27 mai 1966 et les mercredis 22 mai 2019 et 7 mai 2025
Cet homme, Jean-Louis Duroc (Jean-Louis Trintignant), est pilote automobile de course et d’essai. Il est veuf, sa femme s’est suicidée, le croyant lui-même perdu après un terrible accident aux Vingt-quatre heures du Mans. Cette femme, Anne Gauthier (Anouk Aimée), a un métier de cinéma - elle est script. Elle a été mariée à un cascadeur mort dans un accident de travail, elle l’a aimé passionnément et cet amour flambe encore en elle, brûle l’écran quand elle parle de lui.
Jean-Louis et Anne se sont rencontrés quand, à une pension de Deauville, ils allaient rendre visite l’un à sa petite fille, l’autre à son petit garçon. Ils se sont plus lentement connus. Après un très dur rallye de Monte-Carlo qu’il vient de gagner, Jean-Louis appelé par un télégramme d’Anne fonce dans sa voiture vers elle à travers la nuit, atteint Paris puis Deauville au matin. Et là, finalement, pour Anne, ce second amour vient brusquement échouer sur le souvenir du premier. Ils se séparent très tristement, Anne prend le train pour Paris et nul ne sait si la dernière inspiration de Jean-Louis d’arriver avant ce train et de l’attendre à la gare pourra ouvrir une autre voie.
C’est aussi simple que cela. Cette belle chanson d’amour n’a pas la rudesse de celles qui viennent du fond des temps, mais elle pourrait avoir un ou deux siècles et avoir été chantée par un peuple entier. On aime que le cinéaste ici raconte une histoire, que le spectateur comprenne cette histoire et y participe, qu’il puisse se sentir à l’aise avec les personnages, que ces personnages aient un métier (même exceptionnel), que les mauvais sentiments ne soient pas obligatoires.
Et c’est une atmosphère romantique (au sens populaire mais en même temps vrai du mot) que le spectateur trouve ici et qui l’attache : thème de l’amour plus fort que la mort, approche pleine de réserve de Jean-Louis et d’Anne, brusquement rompue par un cri jeté dans un télégramme de félicitation après une course : le mot "Je vous aime", jamais prononcé auparavant, aussi regretté et pourtant maintenu. La déclaration est dans un télégramme, la fougue amoureuse fonce à deux cents à l’heure dans une voiture de course et pendant ce temps-là, les images d’amour jaillissent à deux cents à la minute dans le rêve du pilote et sur l’écran. Cette orchestration moderne - télégramme, voiture, cinéma - d’une chanson ancienne est un des charmes du film.
Après cela on aurait envie d’oublier le jeune prodige du cinéma que Claude Lelouch a la réputation d’être. Un improvisateur ? La chanson est un genre qui s’y prête et il sait chanter en images. Quand la couleur brusquement jaillit pour Anne, pour le souvenir du mari mort et en même temps pour l’éblouissement du cinéma qui était son métier, c’est simplement très beau. Quand Claude Lelouch traduit en images même le mensonge de parole (Jean-Louis bluffant en racontant qu’il est souteneur), c’est assez acrobatique. Mais acrobatique seulement parce que, dans ce langage, il parvient à se faire comprendre de tous. C’est aussi le souci de se faire comprendre de tous qui le conduit à utiliser les virages photographiques non comme simple virtuosité, mais comme ponctuation pour rendre clairs les déplacements dans le temps. Le souci de communication avec le public n’est pas si fréquent qu’on ne s’en réjouisse et qu’on ne se réjouisse de voir le public y répondre.
Jean Delmas
Jeune Cinéma n°16, juin-juillet 1966
Un homme et une femme. Réal, ph : Claude Lelouch ; sc : C.L. & Pierre Uytterhoeven ; mont : Claude Barrois ; mu : Francis Lai, Pierre Barouh & Nicole Croisille ; déc : Robert Luchaire ; cost : Richard Marvil. Int : Anouk Aimée, Jean-Louis Trintignant, Pierre Barouh, Valérie Lagrange, Simone Paris, Antoine Sire, Souad Amidou, Henri Chemin, Yane Barry, Paul Le Person, Gérard Sire, Gérard Larrousse, Jean Collomb (France, 1966, 104 mn).