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Cyclone à la Jamaïque (1965)
de Alexander Mackendrick
publié le dimanche 28 juin 2015

par Vincent Dupré
Jeune Cinéma n°340-341, automne 2011

Sorties les mercredis 21 juillet 1965 et 6 avril 2011


 


Classique confidentiel, Cyclone à la Jamaïque n’inspire que des superlatifs à ceux qui savent en apprécier la beauté sauvage et ce qui, sous ses atours de spectacle populaire, sourd en lui de sombre et de malsain. Même mutilé, il semble s’imposer avec le temps comme un des plus beaux films d’aventure et un des plus beaux films sur l’enfance de l’histoire du cinéma. Ce n’est pas écorner ce consensus que de remarquer qu’il se cristallise paradoxalement autour de deux notions, l’une générique (l’aventure), l’autre thématique (l’enfance), que la mise en scène de Alexander Mackendrick ne cesse de maltraiter au regard des conventions hollywoodiennes. Le film a dérouté son public à l’époque et reste aujourd’hui encore dérangeant pour cette raison que genre et sujet y sont, dans leurs contours, parfaitement dessinés et identifiables mais comme troublés de l’intérieur, chargés d’émotions et de tensions inhabituelles.


 


 

Où est l’aventure, dans Cyclone à la Jamaïque  ? L’exotisme du cadre, le pittoresque des personnages et des costumes en diffusent le parfum mais elle ne provoque chez Alexander Mackendrick aucun lyrisme, aucune enflure formelle, aucun souffle spectaculaire (sauf dans l’ouverture, sublime mais étrangement douce). Au contraire, le cinéaste, qui a toujours été mal à l’aise avec le décorum et le grandiose, cherche constamment à clôturer, à confiner l’action : en situant la majeure partie du film sur le bateau, davantage prison flottante que support de rêve et d’évasion, en faisant un usage très modéré des plans de grand ensemble, en ne s’accordant aucune digression descriptive ou poétique, en multipliant les scènes se déroulant dans des espaces clos - caves, cales, cabines.


 


 

À plusieurs reprises, la nuit vient même effacer à l’image l’étendue liquide, manière pour Alexander Mackendrick de resserrer encore plus le cadre autour de ses personnages et de créer des ambiances visuelles oppressantes qui rappellent celles du Grand Chantage (1957) ou de Tueurs de dames (1955). Cyclone à la Jamaïque est une superproduction intimiste, dépourvue d’action (l’abordage d’un vaisseau, à la fin, y est plus entendu que vu) et de quête (pas de trésor à trouver ou de baleine à pourchasser), un film ouvert aux quatre vents mais étouffant, un film d’aventure, si l’on veut, mais d’une catégorie particulière : indifférent jusqu’à l’insolence à l’ailleurs, aux éléments, au voyage.


 


 

Où est l’enfance, dans Cyclone à la Jamaïque  ? Difficile à dire, tant Alexander Mackendrick en donne une représentation relative, ambivalente, et parfois inquiétante. Appartient-elle aux enfants captifs, que le film commence par nous montrer bravant la tempête, expliquant à leurs parents les rites vaudou, buvant comme eux de l’alcool et, plus tard, impassibles devant la chute mortelle d’un chimpanzé, ou appartient-elle aux pirates, plus puérils et superstitieux les uns que les autres, et pour qui l’océan ne semble être qu’un immense terrain de jeu ? Contrairement à Victor Fleming dans L’Île au trésor (1924) ou à Fritz Lang dans Les Contrebandiers de Moonfleet (1955), Alexander Mackendrick ne filme pas à hauteur d’enfant la découverte d’un monde adulte immoral. Sa caméra alterne les prismes pour sonder chez l’enfant la part d’impureté et de perversion, et chez l’adulte la part de candeur et de fragilité. Le récit initiatique attendu se dérègle pour se transformer en une lutte psychologique dans laquelle les notions d’innocence et de culpabilité se brouillent. Dramatiquement, le film bascule lorsque les rapports de force s’inversent et que les pirates perdent le contrôle de la situation. Comme dans Tueurs de Dames ou Le Grand Chantage, ce sont les personnages les plus faibles en apparence qui finissent par l’emporter sans opposer aucune violence, en laissant simplement l’ennemi s’autodétruire.


 


 

Qu’est donc Cyclone à la Jamaïque s’il n’est pas, ou que trompeusement, un film d’aventure et un film sur l’enfance ? Réduit à son anatomie fondamentale, on pourrait le décrire comme un drame oculaire où tout se joue au niveau de la perception qu’ont les personnages d’un événement, d’une action, d’un geste. Comme toujours chez Alexander Mackendrick, c’est par le regard que les conflits s’y organisent et s’y résolvent, et que le dynamisme visuel s’opère. À ce titre, on retiendra comme un des grands moments de son cinéma la conclusion du film : à l’annonce du verdict qui pourtant le déclare coupable (il l’est, mais pas de ce quoi on l’accuse), le regard du pirate traduit un soulagement, une délivrance, une candeur retrouvée. Dans la scène suivante, on peut lire en contrepoint dans le regard fixe et mélancolique de la petite fille le poids de la faute et le sentiment d’une perte. L’un condamné à mort, l’autre au remord, l’adulte et l’enfant auront vécu une aventure authentique mais intérieure, informulable, tabou - une histoire d’amour peut-être.

Vincent Dupré
Jeune Cinéma n°340-341, automne 2011


Cyclone à la Jamaïque (A High Wind in Jamaica). Réal : Alexander Mackendrick ; sc : Stanley Mann, Ronald Harwood & Denis Cannan ; ph : Douglas Slocombe ; mu : Larry Adler ; mont : Derek York. Int : Anthony Quinn, Deborah Baxter, James Coburn, Dennis Price, Lila Kedrova (USA, 1965, 103 mn).



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