Biennale di Venezia, 56. Esposizione Internazionale d’Arte
(9 mai-22 novembre 2015).
All The World’s Futures
Jeune Cinéma en ligne directe
Journal de Old Gringo (juin-juillet 2015)
Fête de la musique partout dans le monde.
Nous, on est à Venise. Peu de musiques dans les rues.
C’est la Biennale d’art contemporain 2015.
Cette année, elle a commencé en mai (au lieu de juin depuis toujours), pour être raccord avec Milan.
Les critiques ont été réservées : 2015 serait un mauvais cru.
On s’en fout.
Les manifestations régulières sont, par définition, inégales et variables.
À Venise, on y va pour se perdre, pour être loin des foules, avec des rêves et des rencontres non balisées. C’est très facile, contrairement aux idées reçues, et même dans le cadre de la Biennale la plus faible.
Par exemple, retourner à l’Arsenale, de l’entrée à la sortie des bateaux, par le chemin détourné des artistes.
En 2013, dans les bassins, il y avait un bateau bourré de musiciens qui nous faisaient des aubades.
On ne commence pas par la Biennale proprement dite, mais par le Museo Correr voir l’exposition Nuova Oggettività (autrement dit "Neue Sachlichkeit").
Tout le monde connaît Otto Dix et George Grosz.
Mais d’autres peintres et dessinateurs sont moins connus, et tout aussi impressionnants : Jeanne Mammen, Rudolf Schlichter, Georg Scholz, Otto Griebel, Karl Völker, Christian Schad, Friedrich Seidenstücker, Franz Radziwill, Lotte Jacobi...
Au temps de la République de Weimar (1919-1933), la Nouvelle Objectivité n’avait pas le regard tendre sur la réalité terrifiante.
Correr a distribué les œuvres par pièces thématiques : les rescapés mutilés de la WWI, les amours interdites et donc punies...
Les artistes avaient pressenti ce qui allait suivre, qui fut pire encore.
Musée Correr Piazza San Marco, 52, 30124 Venezia (jusqu’au 30 août 2015).
Aux Giardinis, sous les grands arbres toujours aussi puissants, on est bien. D’un pavillon à l’autre, avec des pauses.
Une découverte au pavillon japonais : Chiharu Shiota, avec une œuvre The Key in the Hand.
Elle est née à Osaka, en 1972, et vit à Berlin. Et a déjà une longue œuvre derrière elle, une œuvre très forte.
En 2015, elle nous confirme que nous avons toutes les clés pour accomplir, dans notre barque fragile, notre voyage, sanglant, forcément sanglant.
Coup de foudre pour le nouveau pavillon australien, aux Giardini, avec l’installation de Fiona Hall : Wron Way Time.
La grande salle semble présenter un ensemble hétéroclite, des horloges détournées forcément suisses du pays des banques, des vanités coquettes, des animaux mythiques, des totems pendus, des bois flottés rassemblés, des billets de monnaies internationales affublés de feuilles d’arbres, un tapas aborigène…
Mais, très rapidement, chaque élément se met à dialoguer avec les autres. La guerre que mènent les humains à la Nature est, dans le même temps, exhibée et désamorcée. La mort est là, qui guette, inéluctable, mais la destruction pourrait ne pas l’être. L’état des lieux est aussi celui de l’état d’urgence.
Mais quelle tendresse dans ces animaux d’un autre temps tressés avec les communautés aborigènes de toute l’Australie, qui refusent de disparaître !
Et quel espoir dans ces livres empilés qui soutiennent le temps !
C’est rare que le télescopage des éléments d’une installation "prenne" aussi vivement que dans un collage en deux dimensions. "Le temps du rêve" habite Fiona Hall.
Henri de Régnier (1864-1936) fut un des amoureux de Venise le plus ardents. Il est bien oublié de nos jours, comme ses contemporains du symbolisme.
Et même Venise l’oublie : d’année en année, la plaque qui le célébrait, sur l’étroit chemin qui mène de Guggenheim à La Salute, derrière la Palazzo Dario en éternel ravalement, disparaît peu à peu, sous les feuillages.
Nous nous consolons en pensant que c’est bien que les feuillages, eux, ne disparaissent pas encore.
La Biennale est douce, et fermée le lundi.
À l’Arsenale, hier, découverte du sculpteur américain Melvin Edwards, né en 1937.
Et coup de foudre.
Il se dit inspiré par les techniques de soudure du fer du sculpteur Julio Gonzalez (1876-1942), qui vécut à Montparnasse, et son mentor, Picasso.
Mais les ombres que produisent ses œuvres, sur les murs, elles ne viennent ni de Picasso, ni de Gonzalez.
Elles ne viennent pas du hasard non plus.
Et pas tant que ça, non plus, du travail de la lumière dans l’installation de l’Arsenale.
Elles sont comme une aura aléatoire, issue des mouvements de nos regards.
C’est la magie de la Biennale : des liens inconnus et mystérieux qui s’établissent entre artistes et récepteurs.
Pour savoir comment ça marche, on devrait relire Hans Robert Jauss (1921-1997) ou même lire Charles Sanders Pierce (1839-1914). Mais on n’en a pas du tout envie.
Le fait est que nous, en face de certaines œuvres d’art, "ça" marche.
Et c’est, comme être amoureux ou être inspiré, la preuve que les dieux existent.
Au moins en nous.
On dit bien : les.
La 56e Biennale de Venise 2015 s’appelle All The World’s Futures.
Ce titre véhicule mille espoirs et projets de bonheur et de constructions.
Aux Giardini, sont ouverts les pavillons des pays du monde, où triomphe, un instant, la grande paix des arts.
À la fois merveilles et alibis du système économique dominant et des politiques guerrières réelles.
Sur le quai Viale Giardini Pubblici, le Street Art propose un autre jeu de piste, parallèle, marginal, et nous oriente vers "le Pavillon des immigrés anonymes sans État".
La flèche indique le chemin, vers l’eau, vers les eaux.
On continue sur le chemin indiqué. On tombe sur la noyée.
En hommage aux femmes de la Résistance en Italie : Venezia alla Partigiana, (1964), le corps solitaire, balloté par les marées, conçu par Augusto Murer (1922-1985).
Télescopage des images, des époques, des univers.
Plus petit dénominateur commun : l’humanité.
Toujours à Venise, et à propos de voyages, Fabio Mauri (1926-2009), dans le Padiglione centrale, aux Giardini, nous offre son mur de valises et son enfant perdu.
Il Muro Occidentale o del Pianto avait déjà été présenté à Milan, au Palazzo Reale, en 2012 dans l’exposition : "Fabio Mauri. The End".
Digression : Fabio Mauri et Pier Paolo Pasolini étaient des amis de trente ans. Ils avaient fondé, en 1942, la revue d’art et de littérature Il Setaccio. Les performances et les installations de l’un répondaient en écho aux films et aux écrits de l’autre. En 1975, à Bologne, ils avaient tenté une expérience à partir de L’Évangile selon St Matthieu : la projection du film sur le corps même de PPP assis sur une chaise, en chemise blanche, signifiant la responsabilité de l’artiste et de l’intellectuel dans son corps même : Intellettuale : il Vangelo secondo Matteo di/su Pier Paolo Pasolini.
Mauri a su ce que signifiait vraiment cette performance de Bologne, très exactement le 2 novembre 1975.
Mais il n’aura pas su à quel point Il Muro Occidentale o del Pianto nous parlerait en 2015.
À quel point il nous renverrait aux naufragés de la Méditerranée, comme aux vieilles valises de Ellis Island.
Chaque Biennale de Venise nous offre l’occasion unique de revoir l’Arsenale, et de réanimer notre amour inconditionnel pour lui.
En 2015, l’Arsenale de "All The World’s Futures" nous a séduits d’un bout à l’autre.
Tout au bout, il y a les deux Phœnix, le mâle et la femelle, de Xu Bing (2012-2013), qui occupent les deux bassins.
Ils avaient été exposés à la Cathédrale de St John The Divine, à New York en 2014.
Mais, à l’Arsenale, lieu laïc, les deux bêtes métaphysiques prennent toute leur dimension : Pas de rédemption, mais renaissance des cendres.
Et, puis, à l’autre bout, dans le couloir de sortie, il y a les magnifiques tapisseries de Ibrahim Mahama, né au Ghana en 1987 : Out of Bounds (2014-2015), à partir des sacs de jute qui ont voyagé dans les cales des bateaux. Comme les esclaves.
[...] Tant qu’on est dans la com II : voilà comment le plasticien Walead Beshty traite la presse, au Pavillon centrale de la Biennale de Venise 2015 (Giardini), avec une attention toute particulière pour La voz de Jalisco, un périodique de Guadalajara, Mexique, qui "donne les nouvelles que les autres cachent".
Pour Walead Beshty une seule solution : le cut up !
Du coup, on retourne à Venise faire un tour à la Biennale.
Pas au Lido, on peut pas tout faire.
Mais à l’Arsenale, l’espace de Qiu Zhijie, JingLing Chronicle Theatre Project (2010-2015), qui nous turlupine parce qu’il n’a pas livré tous ses secrets.
Qiu Zhijie pense que l’histoire est circulaire.
Il n’est pas le seul.
Les astronomes mésopotamiens, Nietzsche et son éternel retour, et l’astrologie et sa "Grande année" (de 26 000 ans tout de même) l’accueillent à bras ouverts.
Qiu Zhijie ne plane pas, lui, et l’intérêt de son travail c’est qu’il prend en compte nos choses et nos petites affaires, si importantes dans nos vies quotidiennes, qui, elles aussi, tournent en rond.
En fait la seule vraie question, c’est : cercle ou spirale ?
On l’a compris, on préfèrerait : spirale.
Ça prendrait en compte la dialectique.
Donc l’Occident pourrait y adhérer, et, tout pourri qu’il est devenu, trouver là, dans sa seule invention motrice, une occasion de ne pas détruire l’univers.
À Venise : La Mostra 2015, 72e édition.
Tiens, on va faire un pas de côté, et se l’illustrer avec une phrase que vous connaissez tous : "De toute façon, on traverse une époque comme on passe la pointe de la Dogana, c’est-à-dire plutôt vite".
Et l’image qui va avec :
Mostra de Venise, 2-12 septembre 2015.