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Sanders-Brahms, Helma (1940-2014) (e)
Entretien avec Heike Hurst (2008)
publié le lundi 15 décembre 2008

Rencontre avec Helma Sanders-Brahms (1940-2014)
à propos de Clara (2008)

Jeune Cinéma n°321, décembre 2008

Deutschland, bleiche Mutter…. da sitzest du besudelt unter den Völkern…
Bertolt Brecht


En 2008, Helma Sanders-Brahms vient de terminer Clara après une lutte acharnée de douze ans. Dans le même temps, Allemagne mère blafarde ressort en copie neuve.

Jeune Cinéma : Allemagne mère blafarde est un film culte en France. Comment vivez-vous cette réédition après tant d’années ?

Helma Sanders-Brahms : L’intérêt pour mes films a beaucoup diminué avec les années. Si le souvenir avait été fort, je n’aurais pas dû lutter pendant pendant douze ans pour réaliser Clara. C’est le Festival de Paris, l’été dernier, avec les Rencontres, et une rétrospective de six titres, qui a relancé l’intérêt pour mes films. Le premier jour, c’était à moitié plein et je me disais : eh bien, ton temps est passé, ça n’intéresse plus personne.
Et puis finalement, le lendemain, c’était plein à craquer, et ensuite il y avait la queue et il fallait refuser du monde. C’est pourquoi Carlotta éditera mes films en commençant avec Allemagne, mère blafarde.
C’est une belle fin, une sorte d’apogée pour ma vie, je suis émerveillée que ça intéresse des jeunes gens, qu’ils dépensent de l’argent pour voir mes films. Ceci dit, ceux-ci ont rapporté plus d’argent que la plupart des films allemands et ont été vus dans beaucoup de pays. J’aimerais beaucoup que Clara aussi atteigne un public important.

JC : En présentant le film, vous avez dit quelque chose sur la secrète correspondance entre ces deux films réalisés à trente ans de distance : qu’il s’agissait en quelque sorte du côté positif et du côté négatif du même personnage…

HSB : Je suis heureuse d’être arrivée à ce moment où les films que j’ai faits vont être accessibles. Allemagne mère blafarde, c’est l’histoire de ma mère et de moi pendant la Seconde Guerre mondiale. On me l’a reproché : comment peux-tu faire un film aussi personnel, qui ne montre que ta mère et toi ? Ils ne voulaient pas qu’on parle de l’histoire de cette façon, il voulaient qu’on ne parle pas de façon subjective. Chacun a sa subjectivité, on parle bien de l’histoire des hommes, Allemands et Français, de soldats, de bombes… Il n’y a pas les chants de ces batailles, ni l’histoire du paysan à Waterloo qui a perdu ses champs, ses patates, sa femme et son enfant… Il y a juste ma mère et moi, parce que c’est ce que j’avais vécu. Allemagne, mère blafarde a été montré partout, plusieurs fois au Japon, en mars dernier encore j’étais invitée en Corée, aux USA, il fait partie des classiques. Il existe là bas une collection de films qui ressortent régulièrement et qui existent en DVD. C’est facile de les trouver, le temps est venu pour qu’ils puissent être montrés à nouveau.

JC : Dans la citation de ce poème de Brecht, vous insistez sur la souillure, qui n’apparaît jamais dans votre discours, mais dans vos images. Il y a les cheminées, les portes des fours crématoires… Votre mère incarne bien ce drame allemand de l’aveugle qui traverse l’histoire sans voir. Alors que dans Clara, c’est une tout autre créativité, le côté positif du même personnage qui traverserait l’Allemagne… ?

HSB : Mes films s’adressent à l’Allemagne, mes films dialoguent avec mon pays. Prenez Les Fruits du paradis, sur la situation en RDA, c’est un film qui est encore juste, alors que je l’ai réalisé quand le Mur tombait. On a reconstruit des maisons, mais il n’y a plus personne pour les habiter, il n’y a pas de travail, c’est montré dans le film, qui a bien marché au Japon, mais, que personne n’a vu en Allemagne. Et maintenant, Clara va sortir ici, mais pas Allemagne, mère blafarde, ni mes autres films, et je trouve que c’est dommage. Prenons un autre exemple : Rainer Werner Fassbinder est apprécié partout, mais en Allemagne, on sait juste qu’il a existé.

JC : Vous parliez de la difficulté de réaliser Clara ?

HSB : J’ai écrit vingt-trois versions du scénario, alors que la première m’avait permis d’avoir tout de suite une subvention. Mais ça ne suffisait pas pour réaliser ce projet ambitieux. Pendant plus de neuf ans, je voulais Isabelle Huppert. Et au moment de tourner, elle n’avait plus la force que ce rôle exige. Dans le film, on voit bien l’énergie nécessaire. Martina Gedeck a eu trois professeurs. Pendant les trois ans de préparation, je l’ai vue s’entraîner, pour poser les doigts comme il faut. Le film devait s’appeler d’abord La Symphonie rhénane, c’est l’époque qui le veut, l’orchestre de Düsseldorf sous la direction de Robert Schumann. Évidemment, il s’agit de plusieurs années de sa vie de pianiste, alors qu’il ne s’agit que de quelques mois dans le film. Et c’étaient les quelques mois avec le jeune Brahms. Son œuvre à elle, c’est peut-être de faire tout pour soutenir les créations de son mari et celles de Brahms. Ce que le film veut montrer, c’est qu’elle a consacré sa créativité à ces deux compositeurs-musiciens. Elle voulait être pianiste, et elle a été concertiste jusqu’à la fin ; c’est ce que le film montre avant tout.

Propos recueillis par Heike Hurst
Paris, novembre 2008
Jeune Cinéma n°321, décembre 2008

1. Clara. Le film raconte une période particulière de la vie du couple Robert Schumann et Clara, sa femme, pianiste de génie : leur rencontre avec le jeune Johannes Brahms, alors que Robert Schumann occupe le poste de directeur de l’orchestre de Düsseldorf.

Clara (Geliebte Clara). réal : Helma Sanders-Brahms ; sc : Nicole-Lise Bernheim, Helma Sanders-Brahms et Colo Tavernier ; ph : Jürgen Jürges ; mont : Isabelle Devinck ; int : Martina Gedeck, Pascal Greggory, Malik Zidi, Jacques Breuer. (France-Allemagne, 2008, 107 min.)

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