home > Films > Summer (2014)
Summer (2014)
de Alanté Kavaïté
publié le lundi 10 août 2015

par Prosper Hillairet
Jeune Cinéma en ligne directe

Prix de la mise en scène au festival de Sundance 2015
Sélection du Festival de Berlin 2015 (Panorama)

Sortie le mercredi 29 juillet 2015


 

D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche

Rimbaud, Roman
 

Summer est un chant. Un chant de la terre et du ciel. Un chant des forêts et des lacs. Un chant d’amour.


 

Ce dernier film d’Alanté Kavaïté, est le premier qu’elle tourne en Lituanie, son pays natal. Elle y conte les amours d’un été de Sangaïlé et Austé (respectivement interprétées par Julija Steponaïtyté et Aisté Dirziùté, toutes deux éclatantes et évidentes dans leur personnage).

On y suit, à travers leur relation, la marche de Sangaïlé, surmontant son sentiment de vertige, vers sa conquête du ciel.

Dans la première scène de Summer, Sangaïlé assiste à un spectacle d’acrobaties aériennes. Elle gagne, grâce à une tombola, un tour dans les airs, mais elle fuira l’aérodrome avant de bénéficier de son prix.

Dans le précédent film d’Alanté Kaïvaté, Écoute le temps, Charlotte, l’héroïne, une preneuse de son (interprétée par Émilie Dequenne), voulait accéder à un moment du passé en tendant des fils dans une maison, labyrinthe de lignes spatiales, dispositif à remonter le temps.

Remonter le temps. Atteindre à l’inatteignable est un des traits du cinéma d’Alanté Kaïvaté, aussi bien en terme de récit qu’en terme de réalisation.

Le dessein pour Sangaïlé, pour atteindre l’inatteignable : gagner le ciel dont elle s’est détournée, passer de la position de spectatrice à celle d’aviatrice. Une question de cinéma : passer du point de vue de la Terre sur le Ciel au point de vue du Ciel sur la Terre. S’élever.
Conquête de l’espace, Summer est donc aussi une quête d’amour. À ce même meeting aérien, Sangaïlé va rencontrer Austé (c’est même cette dernière qui va tirer le numéro gagnant).

Sangaïlé et Austé s’attirent par quoi elles se distinguent. Austé, au visage rond, ouvert, habitant une HLM avec sa mère, travaillant à la caféteria de l’aérodrome, styliste. Sangaïlé, longiligne, réservée, habitant une grande maison en forêt, parents aisés, en vacances. La chambre-bazar d’Austé, surchargée d’objets hétéroclites ; la chambre de Sangaïlé, minimaliste, quasi vide.

Cet amour de Sangaïlé pour Austé sera un des chemins de ce passage vers son contraire : surmonter son vertige pour atteindre au ciel.

Et un des grands intérêts du scénario de Summer est de traiter sur des lignes autonomes l’attirance corporelle terrestre de Sangaïlé pour Austé et son attirance spirituelle céleste, tout en déroulant l’une pour l’amener à l’autre. De l’amour à l’avion.

La première approche des corps, passera par une robe, bleue, qu’Austé va dessiner, tailler et monter à même la peau de Sangaïlé. Elle va ainsi tracer les lignes du modèle, couper le tissu bleu, comme dans la première scène les avions fendaient le bleu du ciel de leur ligne de vapeur blanche.

Ces signes dans les airs sont comme une langue graphique (cinémato-graphique) énigmatique à laquelle Sangaïlé va accéder. Et la robe, avec les gestes tout aussi graphiques qui l’ont composée, portée par Sangaïlé comme une tunique d’azur et d’amour, puis brûlée, comme immolée pour s’en libérer, enfin remise à l’heure de la réconciliation, est un vecteur dans son mouvement vers le ciel.

Le bleu du ciel et le bleu d’une robe.

Là est la part la plus profonde du film d’Alanté Kavaïté. Cette communication secrète entre les objets, les lieux, les éléments, forme comme un récit parallèle aux deux personnages.

Écho aussi avec Écoute le Temps : un mobile dans la chambre de Sangaïlé, structure en bois (1), formant polyèdre, dont l’enchevêtrement rappelle justement le dispositif déjà évoqué des fils tendus dans la maison, par Charlotte (Émilie Dequenne). Ces deux constructions "formant" la projection spatiale, l’horizon, du processus de remémoration pour Charlotte, d’élan vers le ciel pour Sangaïlé, leur "inatteignable".

Monde de résonance donc. Nous l’avons déjà noté pour le bleu, mais, tout comme les deux jeunes filles se répondent en miroir, aussi entrent en écho, le ciel, l’eau, la terre et le feu. Alanté Kavaïté inscrit Summer, dans la grande tradition des films de paysages. Paysage naturel ou, en contraste, paysage industriel par la présence d’une centrale électrique qui surplombe un lac où Sagaïlé et Austé se baignent et passent, autour d’un feu, leurs soirées avec un groupe d’amis.


 

À rebours de l’insouciance de ces scènes amicales, l’inquiétude sourde de Sangaïlé dans sa solitude ou la gravité radieuse des deux amoureuses. Scènes des amours des bords de l’eau, hors sol, hors temps. Déjà une élévation, comme une fête primitive et magique (2). Mais une fête de la terre, de la nature. Se fondre dans les herbes, se fondre dans le paysage.

Paysage / mouvement : les séquences purement aériennes, chorégraphie mécanique, mais aussi les survols de lac, de forêt, de la maison de Sangaïlé, comme un appel mystérieux du ciel.

À ces vues du ciel, s’opposent, comme en contraste de mouvement, les plongées dans l’eau du lac, descentes dans les profondeurs, déjà en suspension, inversées, l’eau et le ciel en miroir, avant la grande plongée dans l’azur. Il faut sans doute chuter beaucoup pour atteindre les hauteurs.

Il y a donc des étapes dans cette passion du ciel, comme autant de seuil à franchir : le refus de voler et la fuite, monter dans un avion qui reste au sol, grimper aux arbres, monter sur le toit d’un immeuble au risque de la chute, grimper aux portiques et pylônes de la centrale électrique (3), voler accompagnée et enfin voler seule.
Seule avec le ciel (4).

Plus qu’un "roman d’initiation", Summer est un "roman d’élévation". Une aventure de la perception. S’élever et grandir.

S’alléger. Alléger son corps. Se fondre dans le ciel. Devenir ciel. Ce corps que Sangaïlé taillade au compas. Marquage au sang sur la surface de la peau, ces échos aux lignes tracées sur le tissu et à celles des avions dans le ciel. Zébrer le ciel, couper le tissu, scarifier la peau. Et puis, voler.

Voler fait converger toutes les lignes. Lignes d’eau, de peau, de terre, de ciel, de feu. Lignes d’amour.


 

Alors Sangaïlé rejoint sa mère, ancienne danseuse, qui, en une scène de grande émotion, décrit à sa fille ce qu’est danser : "Tout disparaît, ni pesanteur, tu t’élèves, tu te dissous".

Soit le bleu du ciel. Surface infini de notre regard.

Danse avec le ciel.

Prosper Hillairet
Jeune Cinéma en ligne directe (août 2015)

1. Les Lituaniens appellent ces mobiles des "jardins". Jardin suspendu. Leur construction géométrique entrent en résonance avec les lignes graphiques des pylones et portiques, sur lesquels va se hisser Sangaïlé, eux-mêmes "jardins" métalliques suspendus. Et la maison de Sangaïlé est elle-même une construction "cubiste".

2. En fait le monde magique d’Austé et sa chambre grotte et ses inventions féériques, comme ses robes électriques, lucioles d’une nuit d’amour.

3. Parmi les scènes les plus saisissantes, où se résument les enjeux esthétiques du film et existentiels de Sangaïlé : s’élever, éprouver le vertige.

4. En écho avec Jean Epstein : "Les cathédrales sont construites en pierres et en ciel. Les beaux films sont construits en photographies et en ciel. J’appelle ciel d’une image sa portée morale qui est ce pourquoi elle a été voulue" (1928). Écrits sur le Cinéma, Seghers, 1974, tome 1, p.190.

Summer. Réal, sc : Alanté Kavaïté ; ph : Dominique Colin ; mont : Joëlle Hache. Int : Julija Steponaïtyté, Aisté Dirziùté, Juraté Sodyté, Martynas Budraïdis (Lituanie-France-Pays-Bas, 2015, 90 mn).

Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts