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Amnesia (2015)
de Barbet Schroeder
publié le mercredi 19 août 2015

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n° 366-367, été 2015

Sélection officielle du festival de Cannes 2015

Sortie le mercredi 19 août 2015


 

Le dernier film de Barbet Schroeder a été présenté hors compétition dans la salle Buñuel, lieu des séances de Cannes Classics, suivi de la projection, en copie restaurée, de son mythique More.


 

More et Amnesia se situent tous deux à Ibiza, le premier à proximité d’une maison majorquine dessinée par Raoul Hausmann dans les années trente, dans l’esprit de l’architecture vernaculaire.

Dans le cas de More, elle sert de refuge aux junkies qui célèbrent le culte du dieu Râ en s’adonnant aux paradis artificiels.
Dans Amnesia, la bâtisse est le paradis que s’est choisi Martha, l’héroïne du film, une septuagénaire cultivée, raffinée, écolo, qui vit retirée, en autosuffisance ou presque.


 

Autre point commun : la musique.
More est le film qui a lancé internationalement le groupe anglais Pink Floyd. Elle y est diégétiquement justifiée et stimule l’ivresse des protagonistes censés l’écouter sur leurs lecteurs de mini-k7.
Dans Amnesia, c’est l’art que pratique le jeune Berlinois, voisin de Martha, apprenti DJ, adepte de musique électro (la BO est signée Lucien Nicolet, alias Luciano) mixant le cri d’oiseaux nocturnes et accords au violoncelle de Martha.


 

Le titre More était polysémique et Amnesia prend des significations distinctes.

Il désigne le club dans lequel fit réellement carrière DJ Luciano.
Il désigne aussi la maladie qui frappa la RFA, que n’eut de cesse d’évoquer le "jeune cinéma allemand" (cf. Veronika Voss, qui fait le lien entre drogue et oubli).
C’est enfin la solution pour laquelle a opté la protagoniste qui, ayant fui l’Allemagne dès 1936, refuse de parler sa langue maternelle, de boire du vin du Rhin, de monter dans une Volkswagen. Une amnésie volontaire, presque une amputation.

Notons que l’art du cinéma, qui remplit la double fonction de distraire et de remémorer, voire de ressusciter, a également partie liée avec l’oubli et la mémoire.

L’Allemagne était représentée dans More par un ex-nazi, ponte de la drogue dont le principal passe-temps consistait à lancer des couteaux.
Situé dans les années 90, juste après la réunification, Amnesia est un film historique. Comment trois générations se situent-elles face à ce lourd passé ? Comment assument-elles l’héritage ? Le temps de l’amnistie est-il venu ?


 

Martha, touchée par l’amour, finit par transiger. Le grand-père incarné par un Bruno Ganz, qui fait une brève et bouleversante apparition, reste empêtré dans les mensonges d’une histoire dont il ne cesse de remanier la fin.


 

Amnesia représente dans la carrière de Schroeder une incursion dans le domaine de l’autobiographie.
La mère du cinéaste était allemande - c’était la fille de Hans Prinzhorn, le psychiatre qui découvrit l’art des fous.
Comme l’héroïne du film, elle se réfugia en Suisse et refusa de transmettre la langue allemande à son fils. La maison d’Ibiza était la sienne.

Schroeder ne prétend pas répondre à toutes les questions qu’il (se) pose.
Sa réponse est d’ordre esthétique.
Tourné en 6K - une première en Europe -, son film a l’aveuglante luminosité d’un souvenir-écran.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n° 366-367, été 2015

Amnesia. Réal : Barbet Schroeder ; sc : B.S., Émilie Bickerton, Peter Steinbach, Susan Hoffman ; ph : Luciano Tovoli ; mont : Nelly Quettier ; mu : Lucien Nicolet. Int : Marthe Keller, Max Riemelt, Bruno Ganz, Corinna Kirchhoff (Suisse-France, 2015, 96 mn).

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