par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 368, automne 2015
Grand Prix du Jury Venise 2014
Sortie le mercredi 23 septembre 2015
En 2012, Joshua Oppenheimer réalise The Act of Killing, documentaire tourné en Indonésie relatant les massacres effectués en 1965 par les paramilitaires d’extrême-droite contre tous ceux, paysans, syndicalistes et intellectuels, aveuglément accusés de communisme - des tueries atroces, responsables de la mort de plus de 500 000 personnes.
Il réitère aujourd’hui avec un deuxième documentaire de long métrage, The Look of Silence, nouvelle évocation des massacres, sujet qui le tenaille et sur lequel il travaille depuis dix ans avec le même acharnement.
Au cours d’un de ses voyages, il rencontre Adi, Indonésien dont le frère aîné fut assassiné par la junte. C’est avec lui qu’il tourne ce deuxième film, afin d’élucider sa mort, auprès des anciens bourreaux.
À l’instar de Rithy Panh qui s’attaque au génocide cambodgien des Khmers rouges, Joshua Oppenheimer fait la lumière sur ces assassinats de masse oubliés. Son dispositif filmique est assez proche de celui que met en œuvre Rithy Panh et semblable à celui de son précédent film.
Sonder l’âme humaine jusqu’aux plus ténébreuses profondeurs où se mêlent et se renforcent lâcheté, cruauté, barbarie, perversion, bestialité, sadisme et crime contre l’humanité.
Pour cela, il utilise le principe de la caméra-témoin qui cadre, capture et enregistre implacablement les témoignages.
Pas d’échappatoire, les bourreaux sont face caméra, ils prennent la parole et rejouent parfois les scènes de tortures. Le sourire est sur leurs lèvres, parfois même le rire, automatique, hystérique.
Ce film est fait d’images diaboliques de l’effroi.
Le dispositif est tel qu’ils se revoient et s’écoutent sur écran, évoquant les propos les plus ignobles sur les exactions commises. Il est difficile de tenir le regard, tant sont insoutenables les révélations et les actes, et plus encore la vision de ces figures banales, communes, et en même temps odieusement affreuses dans l’expression de leurs faits.
Le pouvoir indonésien est aujourd’hui aux mains de ces bourreaux devenus riches et responsables politiques.
Quel courage faut-il à Adi pour braver les menaces et parvenir à remuer ces souvenirs sanguinaires ?
Est-il vraiment ophtalmologiste, ou serait-ce un trait d’humour, proche du désespoir de vouloir rendre la vue nette aux hommes sur leur passé ?
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 368, automne 2015
The Look of Silence. Réal : Joshua Oppenheimer ; ph : Lars Skree ; mont : Niels Pagh Andersen (Danemark, 2014, 90 mn).