Annecy italien 2015, du 23 au 29 septembre 2015, 33e édition.
Chronique
par Bernard Nave
Jeune Cinéma en ligne directe
La 33° édition du Festival du cinéma italien d’Annecy est lancée, occasion de vérifier l’état du cinéma transalpin.
Comme d’habitude, le programme élaboré par Jean Gili et son équipe associe une compétition de fictions et de documentaires (premiers ou deuxièmes films avec des avant-premières). De quoi susciter nos attentes de découvertes.
Mercredi 23 septembre 2015
* Banana de Andrea Jublin (2015).
Il s’agit d’une forme de comédie autour d’un ado attiré par une fille plus âgée et très différente de lui.
Les adultes (profs, parents) sont souvent caricaturés. Le rythme est plutôt enlevé, les gags assez réussis et quelques touches plus "sérieuses" affleurent sur l’adolescence, sur la médiocrité du monde.
* In guerra de Davide Sibaldi (2014).
Le film confronte deux solitudes dans la violence de la nuit milanaise. Lui écrit des polars et agresse des hommes sans que l’on sache vraiment pourquoi. Elle, harpiste, est abandonnée dans la nuit après avoir rompu avec son ami au cours d’une fête. Leur rencontre initie une sorte d’errance nocturne qui donne lieu à des courses pour échapper à des loubards. Action, effets sonores et musicaux, montage paraissent un peu vains pour aboutir à un happy end.
* Latin Lover de Cristina Commencini (2015).
Nous reviendrons sur le bonheur éprouvé à la vision de ce nouveau film de Cristina Commencini. Elle nous propose un film ébouriffant qui réunit une drôle de famille pour célébrer le 10° anniversaire de la disparition d’une star du cinéma italien, Saverio Crispi dont la carrière traverse cinq périodes qui vont de la comédie italienne, au cinéma engagé et même au cinéma suédois.
De ses voyages il a ramené deux épouses officielles et des filles nées dans différents pays. C’est tout ce petit monde plus le monteur de ses films et la doublure pour ses cascades qui se retrouve pour commémorer sa mémoire. Film jubilatoire en diable avec un casting principalement féminin en tête duquel Virna Lisi (son dernier rôle), et Marisa Paredes font des étincelles. Une brillante plongée dans le monde du cinéma.
* Torneranno i prati de Ermanno Olmi (2014).
La journée se termine avec la projection du dernier film d’Olmi, sur la Première Guerre mondiale, dans une approche toute personnelle. Un prochain Jeune cinéma présentera une critique du film. Il avait inauguré la grande rétrospective Olmi à la Cinémathèque mais n’a toujours pas trouvé de distributeur en France. Deux jeunes acteurs du film étaient présents pour parler du film et surtout de leur travail avec Olmi qui ne pouvait être présent à cause de la maladie (il a 84 ans). "Ce n’est pas un film sur la guerre, mais sur la douleur de la guerre" leur confiait le réalisateur.
Jeudi 24 septembre 2015
Chaque édition d’Annecy permet de vérifier combien le cinéma italien est implanté dans ses régions, avec la diversité des paysages, des cultures, des accents.
Pour un spectateur français, occasion est donnée de s’immerger dans des mondes variés, de connaître des histoires, des personnages qui ne cessent de surprendre.
* Cloro de Lamberto Sanfelice (2015).
Commençons par les Abruzzes ce premier long métrage.
Le paysage est rude, celui des montagnes de l’Apennin. Un père malade vit avec une fille qui va sur ses 17 ans (Jennifer) et un fils plus jeune (Fabrizio) dans une sorte de remise isolée qui leur est prêtée, dans laquelle ils grelottent. Ils vont s’installer en ville. Le père est placé chez des religieux et Jennifer doit travailler dans un hôtel, suivre la scolarité chaotique de son frère. Elle a pratiqué la natation synchronisée à un haut niveau et, en cachette, elle utilise la piscine de l’hôtel pour s’entraîner. Jusqu’au jour où elle est découverte par le gardien de l’hôtel. Pas de pathos dans la conduite de cette histoire, Sanfelice ne la tire pas du côté du tragique.
Il réserve quelques moments de grâce, comme dans les scènes de natation synchronisée, filmées et montées avec beaucoup d’originalité.
* Montedoro de Antonello Faretta (2015).
Montedoro se situe dans le village de Craco, bourg détruit (Basilicate) lors d’un éboulement en 1963, et où Francesco Rosi avait tourné Le Christ s’est arrêté à Eboli. Antonello Faretta s’inspire d’une histoire vraie, celle d’une femme qui a vécu aux États-Unis et entreprend de revenir sur les traces de sa mère dans ce village fantôme. Le réalisateur se lance dans une entreprise ambitieuse, celle de faire cohabiter des gens d’aujourd’hui avec les esprits des morts au milieu des ruines. Tout ne fonctionne pas forcément dans cette démarche qui se veut poétique. Le personnage de l’Américaine manque de consistance, servant d’avantage d’alibi pour filmer de l’intérieur Craco et le paysage désolé qui l’entoure, le paysage étant alors le vrai personnage du film.
* L’attesa de Piero Messina (2015)
Assistant de Sorentino sur La grande belezza, Piero Messina signe, avec L’attente, son premier long métrage après plusieurs courts.
Dans une grande maison sicilienne, on ferme les volets, on drape les miroirs de lourds voiles noirs. Y a-t-il eu un décès, ou est-ce l’approche de Pâques ? Les deux hypothèses sont valables car le fils d’Anna (Juliette Binoche) a disparu. Arrive de France la fiancée, Jeanne (Lou de Laâge) que Giuseppe a invité à passer quelques jours de vacances dans la grande maison. Le film déroule cette attente de deux femmes qui aiment, chacune à sa manière, un personnage absent. L’argument peut paraître un peu mince. Toutefois, le film parvient à capter les non-dits, à donner au décor très travaillé et stylisé, aux éclairages une force expressive.
Évidemment, le film bénéficie de la présence de Juliette Binoche que Piero Messina filme avec admiration. Intéressant le personnage de Pietro, domestique mutique qui observe ce qui se passe et qui finira par dire à Jeanne que Giuseppe ne reviendra pas. À signaler la séquence de la procession des pénitents dans laquelle se retrouve Anna, un peu à la manière dont Rossellini projetait Ingrid Bergman dans la réalité italienne.
* Una storia sbagliata de Gianluca Maria Tavarelli (2014)
Fin de journée avec le dernier film de Gianluca Maria Tavarelli, par ailleurs Prix Sergio Leone de cette édition d’Annecy.
Una storia sbagliata (Une histoire bancale) emprunte son titre à une chanson de De Andrea. Sujet ambitieux qui place à son centre un couple sicilien dont le mari part comme soldat en Irak et meurt dans un attentat. Sa femme rejoint une équipe humanitaire qui soigne la population civile. Avec l’aide d’un traducteur, elle cherche à se rendre sur le lieu de l’attentat pour comprendre la vérité. Tavarelli tisse entre les problématiques du scénario un savant parcours fait de flashbacks, de questionnements sur la guerre, le couple, la réalité de la présence humanitaire, etc.
On pourrait craindre le trop plein, mais le film parvient à trouver son point d’équilibre grâce à la maîtrise du récit, au rythme, à la qualité du jeu des interprètes et de la reconstitution, même si le film est tourné en Tunisie, alors que Tavarelli souhaitait tourner en Irak.
Vendredi 25 septembre 2015
La journée a été consacrée à unepromenade dans le cinéma lié aux régions, dans les genres qu’affectionne aujourd’hui le cinéma italien : un film sur le thème de la N’dranghetta (équivalent de la Mafia en Calabre), un autre qui revisite la tradition de la comédie italienne dans ce qu’elle a offert de meilleur.
* La terra dei santi de Fernando Muraca (2014).
Le film ne vise pas au spectaculaire des meurtres mafieux même s’il y a quelques victimes dans le film. Le point de vue adopté par le réalisateur est plus intéressant qui place son film au niveau de ce que vivent les femmes : les mères, les sœurs, une juge venue du Nord.
Cette dernière aborde le problème de manière personnelle et se heurte aux forces qui essayent d’entraver son travail. Le mérite du film de Muraca réside dans son absence de manichéisme, son côté quasi anthropologique. Il faut mentionner la scène d’intronisation d’un jeune dans le clan avec son rituel quasi religieux, tel que Saviano l’a décrit. Le final entre la juge et la mère du jeune assassiné est particulièrement réussi.
* Se dio vuole (Si Dieu le veut) de Edoardo Falcone (2015)
C’est une réussite totale. Projection ponctuée d’éclats de rires, tonnerres d’applaudissements à la fin. Le fils d’un grand chirurgien annonce à sa famille qu’il veut devenir prêtre. On pensait qu’il voulait faire son coming out gay. Consternation ! Le père décide de mener l’enquête pour savoir qui l’a attiré dans cette voie. La suite enchaine les situations cocasses sur un rythme qui ne faiblit pas, avec des comédiens particulièrement à l’aise dans la peau de leurs personnages : Marco Giallini (le père, Allessandro Gassman (le prêtre), Laura Morante éblouissante (la mère). Le jeune réalisateur Edoardo Falcone a tout compris dans l’art difficile de la comédie. Son aisance est étonnante, dans le droit fil de la tradition italienne et sans que l’on ne sente à aucun moment le besoin de faire référence voire révérence.
* Last summer de Leonardo Guerra Seragnoli (2014).
Ce film fascine tant par le sujet que par la forme. Lieu quasi unique : un luxueux yacht à bord duquel une femme japonaise et un enfant sont amenés pour y passer quelques jours, dans une ambiance étrange, étouffante, dans un décor intérieur ultra design. On ne comprend que progressivement ce qui se joue dans ce qui ressemble à une résidence très surveillée où la mère et le fils ne doivent pas nouer de lien affectif. On ne souhaite pas livrer ce qui va se passer durant les quatre jours à bord du yacht. La tension est réglée au milimètre, pas une once de gras, des dialogues parcimonieux. Tout se joue dans la gestion du cadre, dans un jeu dépouillé, une bande son et une musique au diapason de la mise en scène. On en ressort émerveillés.
* Mia madre de Nanni Moretti (2015)
Sélectionné en compétition officielle par le festival de Cannes 2015, le film, très bien reçu par la critique, n’a pourtant reçu aucune récompense.
Samedi 26 septembre 2015
Compétitions terminées, les jurés travaillent et nous suivons les propositions du jour. Une question nous trotte dans la tête : comment va se dérouler la cérémonie de remise des prix ce soir avec les rumeurs qui courent sur le devenir du Festival et la mise à l’écart de Gili de manière peu élégante, pour dire le moins. A suivre donc, mais en tant que fidèles d’Annecy, nous ne pourrons rester silencieux face à ce qui se trame et qui ne peut manquer d’éclater au plein jour.
Après la mémorable rencontre avec Valeria Gollino l’an dernier (dont nous avons rendu compte dans la revue), cette année c’est Sergio Castellitto qui est convié à donner une master class. On aime cet acteur à la filmographie bien fournie qui est aussi passé à la réalisation. Une heure durant laquelle il s’exprime sur le métier d’acteur, évoque certains souvenirs et aborde sa conception du cinéma (Bonnes feuilles à paraître dans Jeune Cinéma).
* Vergine giurata (Vierge sous serment) de Laura Bispuri (2015).
Le film sort en salle le 29 septembre 2015 et il le mérite amplement par l’originalité du sujet et la justesse du regard de la réalisatrice. C’est l’occasion de remarquer qu’il s’agit du second film qui offre des scènes de natation synchronisée. Moins anecdotique : la présence de Alba Rohrwacher dans le rôle principal.
Comme dans chacun des rôles qui lui sont confiés, elle apporte ici quelque chose d’incomparable qui allie la justesse du casting (Laura Bispuri nous a dit qu’elle n’envisageait personne d’autre) pour incarner physiquement Hanna et travailler la complexité de son personnage.
Alba Rohrwacher fait partie de ces actrices que le public français amateur de cinéma italien ne peut manquer d’avoir repéré. Elle fait partie de cette nouvelle génération que nous retrouvons chaque année ou presque sur les écrans d’Annecy.
Certains grincheux diront qu’elles ne peuvent faire oublier les stars du cinéma italien d’antan. On a parlé de Laura Morante, irrésistible dans la comédie Se dio vuole qui, dans le film du jeune Falcone, manifeste son éternelle jeunesse.
Pour revenir à Alba Rohrwacher, rien n’est plus intéressant que de voir comment elle peut illuminer l’écran par la pâleur de son teint, son corps longiligne et peut-être surtout par un visage en apparence peu expressif et sur lequel peut s’inscrire une infinie variété d’expressions.
* Sangue del mio sangue de Marco Bellocchio (2015).
À l’issue de la soirée du palmarès, ce dernier film de Bellocchio, est une œuvre déroutante qui risque de décevoir certains admirateurs. On peut suivre le film avec intérêt, sans être certain de bien voir où va Bellocchio. Donc un délai de réflexion s’impose, le temps de décanter.
La soirée restera dans les annales du Festival.
Le spectacle était sur la scène et dans la salle.
Au cours de l’énoncé du palmarès, ce sont rien moins que Sergio Castellitto et Ettore Scola (président d’honneur du Festival) qui ont manifesté leur soutien.
Dimanche matin, les frères Taviani ont envoyé un message de soutien.
Dimanche 27 septembre 2015
Les lendemains de Palmarès d’Annecy, c’est dimanche et le temps des "rattrapages".
Le matin, projection des Contes italiens (Maravgioso Boccacio) des frères Taviani que nous avons vus et admirés. Alors comment résister à une promenade dans le gigantesque marché qui investit la vieille ville dans lequel déambulent mêlés, touristes et habitants.
* Nessuno si salva da solo (Personne ne se sauve tout seul) de Sergio Castellitto (2015).
Il s’agit de l’adaptation du roman homonyme de sa femme, Margaret Mazzantini qui est aussi la scénariste. Le sujet peut paraître banal et a déjà été maintes fois traité : celui d’un couple qui s’est tant aimé et qui se défait complètement. Delia e Gaetano se retrouvent au restaurant pour régler la garde des deux enfants pendant les vacances. Leur conversation tourne rapidement au règlement de comptes dans laquelle les flashbacks reparcourent ce qu’a été leur histoire commune et comment ils en sont arrivés là. Fond et forme reprennent donc des figures connues.
Ce qui fait que le film mérite d’être vu tient en premier lieu à la qualité de l’interprétation des deux personnages, interprétés par Riccardo Scamarcio et Jasmine Trinca (l’une de ces actrices de la nouvelle génération dont nous parlions hier et qui ici surprend par la facilité avec laquelle elle endosse les changements, y compris physiques, de Delia). Castellitto aborde d’autres sujets que celui de la dissolution de ce couple, ce qui donne au film une dynamique due aux changements de ton.
* A tempo debito de Christian Cinetto (2015).
Ce documentaire, prix du jury lycéen, relate une expérience menée dans un centre carcéral de Padoue où le réalisateur a entrepris de conduire un atelier de court métrage avec des détenus. Le casting rassemble une quarantaine de candidats parmi lesquels quinze seront choisis. L’atelier se déroule sur plusieurs mois, ce qui donne l’occasion de connaître ces détenus, non pas par ce qu’ils ont fait pour se retrouver derrière les barreaux, mais pour ce qu’ils sont individuellement et en groupe. Une heure vingt durant lesquelles le monde carcéral ne disparait certes pas mais respire un autre air.
* Cinéma Jacques Perrin de Emmanuel Barnault en collaboration avec Jean Gili) (2015).
Le titre vient de ce qu’une salle de Tarare dans le Rhône porte ce nom. On a l’impression de connaître par cœur les films dans lesquels Jacques Perrin a joué. Il ne s’agit pas tant ici de faire preuve d’exhaustivité que de parcourir, avec lui les étapes d’une carrière commencée très jeune, d’abord au théâtre, ce que l’on sait peu où Zurlini le découvre et l’entraîne dans ses rôles italiens. Les entretiens permettent de mieux cerner l’ensemble de son travail, en particulier en tant que producteur. Belles rencontres avec Trintignant et Costa Gavras. À guetter lors d’un passage télé, voire, qui sait, en salle.
Bernard Nave
Jeune Cinéma en ligne directe (septembre 2015)