par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n° 366-367, été 2015
Sélection officielle Hors compétition Festival de Cannes 2015
Sortie le mercredi 14 octobre 2015
C’est un Allen grand cru, proche de Crimes et Délits et de Match Point.
Pas franchement comique ; suffisamment malin, dans tous les sens du terme.
Avec un scénario inspiré de Crime et Châtiment de Dostoïevski, transposé, modifié. Et une mécanique imparable.
Le réalisateur égratigne au passage les mœurs de l’Université, à laquelle il n’a pas eu accès, ayant débuté tôt dans le métier de gagman, ainsi que les intellectuels post-soixante-huitards, tous militants progressistes et/ou adeptes d’ONG, influencés selon lui par Heidegger et l’existentialisme à la française.
Alcoolo, revenu de tout, à la recherche de sensations fortes telles que la roulette russe ou d’un engagement qui en vaille vraiment la peine, son héros imagine, comme dans les films d’Hitchcock, le crime parfait, autrement dit, absurde, sans mobile apparent. Le personnage joué par Joaquin Phœnix prépare son affaire très minutieusement, avant d’exécuter froidement son plan.
Requinqué par le passage à l’acte, il retrouve goût à la vie, en même temps que sa puissance sexuelle en sommeil.
Les dialogues de Woody sont d’excellente facture. De nombreux rebondissements et d’indices semés en route émaillent le récit. La bande musicale swingante contribue également à animer le film. Enfin, il convient de souligner la justesse de la direction de deux générations de comédiens, en l’occurrence celle de Parker Posey, qui incarne une quadra n’ayant pas froid aux yeux et cherchant à tout prix à se recaser, ou la jeune et mignonne Emma Stone, qui passe sous nos yeux de la post-adolescente à la femme sachant parfaitement ce qu’elle veut et ne veut pas, bref, à défendre son point de vue bec et ongles.
Contrairement à Raskolnikoff, le héros, ici, ne connaît ni illumination ni remords.
Il est surpris des tours que lui joue le destin.
Pris à son propre jeu, il tente de se débattre.
La légèreté, le marivaudage et l’insouciance de la vie d’un campus US dès lors s’estompent.
Du prof beau parleur, le hasard aura raison.
Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n° 366-367, été 2015
Irrational Man. Réal, sc : Woody Allen ; ph : Darius Khondji ; mont : Alisa Lepselter. Int : Joaquin Phœnix, Emma Stone, Parker Posey, Jamie Blackley (USA, 2015, 96 mn).