Sortie le mercredi 21 octobre 2015
par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe
Régulièrement, passionnément, sans aide institutionnelle, Cheyenne-Marie Carron continue à nous livrer des films qui osent à chaque fois la transgression.
Après La Fille publique, qui parlait de sa propre histoire, l’adoption, et L’Apôtre qui soulevait de façon courageuse le thème des religions, elle aborde ici le thème du racisme anti-Blanc en banlieue.
Dans un beau noir & blanc, elle décrit une histoire d’amitié interraciale, dans une petite communauté confrontée à des problèmes difficiles à surmonter.
Sébastien vient de s’installer avec sa famille, dans un petit pavillon d’une banlieue en apparence tranquille. Il rencontre un jeune Noir, Pierre, avec qui il se lie d’amitié.
Mais certains membres de la petite bande africano-antillaise de ce dernier ne supportent pas la présence de ce jeune Blanc. Et c’est sur lui que se porteront les soupçons de dénonciation lors d’un accident sur la chaussée.
Ce film tombe à pic en ces temps troublés.
On sait, hélas, que le racisme n’est pas à sens unique et qu’il existe, dans les banlieues, un ostracisme dû à une appartenance, supposée ou idéalisée, à un pays lointain souvent inconnu.
Le Blanc y est souvent assimilé à la bourgeoisie, donc à la domination de l’État et à la ségrégation, toutes notions qui existent mais sont amplifiées par des médias ou des partis politiques, qui instrumentalisent l’opposition des communautés, croyant en tirer avantage.
Chercher son identité est quelque chose de profondément humain, mais pas au détriment de la cohabitation. Il existe des banlieues où ne cohabitent pas moins de vingt-six nationalités en plus de la nationalité française ! Y vivre sans problèmes est, bien sûr, une utopie.
À la différence de Dheepan, qui semble faire de la banlieue une zone de non-droit livrée à la violence et au trafic de drogue, Cheyenne-Marie Carron nous parle plutôt d’un malaise diffus, en décrivant deux familles qui pourraient très bien s’entendre, une famille française et une famille camerounaise partagée entre la vie en France et l’idéalisation du pays d’origine - Pierre finira par y retourner.
Citant L’Évangile selon Saint Matthieu, la cinéaste, convertie récemment au catholicisme, met en exergue une phrase : "Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur." Il est difficile de savoir actuellement où se trouve son cœur, dans ce monde bouleversé et bouleversant.
Il fallait un certain courage pour aborder un tel sujet sans se cacher derrière des faux semblants : "J’ai constaté que beaucoup de magnifiques films ont été faits en dénonçant le racisme contre les Noirs, constate la réalisatrice, je pense à Imitation of Life, 12 Years a Slave ou Dear White People. Mais je n’ai jamais vu de films sur le racisme anti-Blanc. Alors j’ai eu envie de corriger cela. Mais, avant de parler de racisme, Patries est surtout un film qui parle de différentes quêtes liées à l’identité."
Malgré un happy-end un peu trop appuyé, Cheyenne-Marie Carron réussit son pari : faire un film juste, sans parti pris, qui montre les problèmes d’identité, sans stigmatiser l’une ou l’autre des parties. C’est qui fait sa force et son charme.
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe (octobre 2015)
Patries. Réal, sc : Cheyenne Carron ; ph : Prune Brenguier ; mont : Oktay Sengui ; mu : Patrick Martens. Int : Jackie Toto, Augustin Raguenet, Sylvia Homawoo, Alain Azerot (France, 2015, 125 mn).