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Bad Boy Bubby (1993)
de Rolf De Heer
publié le mercredi 11 novembre 2015

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sorties le mercredi 1er novembre 1995 ; le mercredi 11 novembre 2015


 

Troisième opus de l’Australien d’origine néerlandaise Rolf De Heer, Bad Boy Bubby, sorti en 1993, salué par la critique, couvert de prix (rien que quatre à Venise), est devenu avec les ans un film-culte.

Ce statut est dû à la formation d’une communauté de fans - parmi lesquels Quentin Tarantino - et à la circulation de répliques telles que : "Pop get pizza for cat now", ou (s’agissant de dollars) "If that’s all there is... we’re stuffed", ou bien "Jesus can see everything you do... and he’s going to beat you brainless", ou encore celle que d’aucuns vont jusqu’à se faire tatouer : "You’re a sexy woman, Flo. God, you’ve got great tits. Great big whoppers, if you can say".

En 2015, le film a été numérisé en HD 2K à la George Eastman House de Rochester et le son remastérisé en 5.1 sous la direction du cinéaste lui-même. Après avoir été présenté à L’Étrange Festival puis au Festival Lumière, il peut être rédécouvert en salle à Paris.

Bad Boy Bubby, le héros, est un frère de Bruno S., (Kaspar Hauser de Werner Herzog (1974) et un cousin de Norman Bates (Psycho d’Alfred Hitchcock (1960).
Du premier, il a l’innocence, le regard halluciné, le passé de séquestré, du second l’Œdipe insurmontable et la propension au passage à l’acte.


 


 

Flo vit avec Bubby (contraction de baby et buddy), son fils et… amant de 35 ans, dans "le sous-sol de la peur" (1). Il n’a, littéralement, jamais vu le jour. Il ne connaît d’autre humain que sa génitrice. Lorsqu’elle sort, celle-ci met un masque à gaz et l’enferme, sous la surveillance d’un Christ en croix. Elle lui fait sa toilette, le rase, partage sa couche, le cajole, le corrige. Bubby s’exécute sans broncher. Il se défoule à son tour sur son chat, terrorise les souris, mange des cafards.
Cet homme enfant n’est pas infans : du langage, il connaît les quelques phrases de baby talk qu’elle lui lance : Bubby naughty / Mummy’s good boy et Be still !.

Jusqu’à ce qu’un beau jour, sous les habits d’un clergyman, réapparaisse Pop, son père. Réclamant tous ses droits, ce dernier lui signifie : Pousse-toi de là que je m’y mette. Comme dans la scène centrale de La Métamorphose de Kafka (celle où le cancrelat est chassé du paradis terrestre), la mère passe sans hésiter du côté du paternel. Bubby, après avoir été contraint d’assister à la scène primitive, les tue tous les deux : Be still ! Puis il quitte la cave et la caverne.


 

À l’instar de Miranda dans La Tempête, il découvre ce brave new world qui pourrait être partout et nulle part mais que, depuis le succès du cinéma australien, nous identifions avec les banlieues d’Adelaide ou de Sydney : décharges, cimetières de voitures, hangars, usines désaffectées. Les rues sont peuplées de chiens errants, de clochards, de chauffards fous furieux. Le dehors est le film d’horreur que lui annonçait sa mère. Massacre à la tronçonneuse (1974) est d’ailleurs convoqué au passage.

L’apprentissage commence.
Bubby fait face : il se repère au son et répète - avec un temps de retard - la phrase qu’il vient d’entendre. Il semble fonctionner dans ce monde de brutes, mais déclenche, comme l’apprenti sorcier, des choses surprenantes : un flic lui casse la figure ; une femme, se croyant insultée, s’enfuit en larmes ; il se fait jeter en cellule (ce qui ne le change pas beaucoup).
Bubby joue avec le langage sans le maîtriser. Il en découvre un autre, au gré de ses rencontres, la musique : ici une chorale de l’Armée du Salut, là une jeune fille qui joue du violon, ou bien les cornemuses d’un ensemble écossais.
Dans un lieu improbable, mi-église, mi-fabrique, il trouve un homme en transe qui fait rugir l’orgue, puis l’exhorte à maudire Dieu. La musique exprime ce que les mots cachent ou disent à contretemps.

Bubby va trouver sa voie (et sa voix) dans un orchestre rock, appelé en son honneur Pop and the Clingwrap Killers par les musiciens qui l’ont adopté. Il hurle sa souffrance, et la sublime. Le rock ‘n roll est l’opéra moderne qui lui permet de mettre en scène la violence du monde et de dire son histoire.

Drôle, bouleversant, ce film l’est comme le largo du Xerxes de Haendel, cité par la bande son. Bubby aurait pu devenir un tueur en série. Il devient un homme, échappe à un nouvel enfermement, en prison ou en asile psychiatrique, grâce à l’amour d’Angel, fellinienne Aphrodite et double radieux de Flo.


 

Le happy-end - Bubby en père de famille nombreuse - en déconcertera plus d’un, mais nous suggère une piste d’interprétation.

Relecture savante et gore des mythes, le film le plus populaire de Rolf De Heer ne serait-il pas un conte qui enseigne au petit humain - ce que, dans "l’obscurité bénie" (Robert Desnos) de la salle de cinéma, chacun redevient un peu - à refuser la résignation ?

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe (novembre 2015)

1. The People Under The Stairs, le film de Wes Craven date de 1991, mais on n’était pas encore au courant, à l’époque, de ces faits-divers dont l’Autriche a le secret.

Bad Boy Bubby. Réal, sc : Rolf De Heer ; ph : Ian Jones ; mont : Suresh Ayyar ; mu : Graham Tardif. Int : Nicholas Hope, Claire Benito, Ralph Cotterill, Carmel Johnson, Syd Brisbane (Australie, 1993, 114 mn).

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