par Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 366-367, été 2015
Sélection Quinzaine des réalisateurs Cannes 2015
Sortie le mercredi 23 décembre 2015
Le magnifique film de Ciro Guerra nous plonge dans une Amazonie en noir et blanc, aux confins de la Colombie, du Pérou et du Brésil.
En 1909, un ethnologue allemand (inspiré de Theodor Koch-Grünberg, 1872-1924) parcourt la forêt au fil des eaux et collecte des informations qu’un jeune ethnobotaniste américain de Boston utilise pour ses propres explorations en 1949.
À quarante ans de distance, les deux hommes auront le même guide, Karamakate, un Indien solitaire.
Il y a bien sûr une part initiatique dans ces deux voyages, l’homme occidental découvrant que son savoir ne suffit pas pour affronter ce monde mystérieux.
Dans cet espace et ce temps, des changements apparaissent. Une mission dirigée de main de fer par un franciscain, qui a recueilli des enfants indiens orphelins, est devenu en 1949 une secte d’illuminés aux mains d’un homme qui se prend pour le Christ et où l’on se livre à des rituels insensés. À la manière de Kurtz à la fin du Cœur des ténèbres de Conrad et Apocalypse now de Coppola. L’exploitation de l’hévéa commence aussi à détruire la forêt.
Avec le second voyage, la vieillesse de Karamakate apporte une autre dimension au film. Il est devenu un chullachaqui, la coquille vide d’un homme, privé de souvenirs.
Le jeune Américain cherche une mystérieuse plante hallucinogène, le yakruna, dont il ne reste que peu d’exemplaires. Au fil du voyage, Karamakate oblige son compagnon de voyage à se délester de ses bagages, de la croyance en la supériorité de son savoir. Il ne lui reste alors qu’une seule chose, un gramophone sur lequel on entend La Création de Haydn, avant de toucher au but.
Sur le sommet arrondi d’une montagne qui émerge des brumes et de la forêt, se trouve cette plante dont Karamake fait une décoction qui permet de remonter aux sources de l’univers des Indiens, celle de l’anaconda.
Ciro Guerra offre au spectateur sa propre vision cinématographique de ce rêve, un éblouissement.
El abrazo de la serpiente condense nombre de questions sans jamais virer au didactisme. Préservant la part de mystère, de poésie de son sujet, Ciro Guerra prend le point de vue de l’Indien. Il le fait de manière totalement personnelle, même si l’on peut penser à d’autres films amazoniens.
Ce qu’il nous montre est proprement neuf.
Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 366-367, été 2015
L’Étreinte du serpent (El abrazo de la serpiente). Réal : Ciro Guerra ; sc : C.G., Jacques Toulemonde ; ph : David Gallego ; mont : Étienne Boussac & Cristina Gallego ; mu : Nascuy Linares. Int : Nilbio Torres, Antonio Bolívar, Yauenkü Miguee, Jan Bijvoet, Brionne Davis (Colombie-Vénézuela-Argentine, 2015, 125 mn).