par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 369-370, décembre 2015
Prix Fedeora du Meilleur Film, Mostra de Venise 2015
Sortie le mercredi 6 janvier 2016
Pengfei Song, dont c’est le premier long métrage, a longtemps été l’assistant de Tsai Ming-liang, mais aussi son coscénariste et producteur exécutif, notamment pour Chiens errants en 2013.
Lorsqu’on sait qu’il admire aussi beaucoup Elia Suleiman et Zhang Yimou, on peut comprendre le sens de son film, et admirer sa très belle mise en scène, qui s’appuie sur une photographie remarquable - trop peut-être, le sujet ayant gagné à être traité de façon parfois moins esthétisante.
On sait depuis Pearl Buck, et son roman La Terre chinoise (1931), que le cœur qui donne la vie à la Chine, c’est sa terre. Le cinéaste le reconnaît lui-même dans l’entretien reproduit dans le dossier de presse : "La terre est l’élément qui compte peut-être le plus dans la culture chinoise".
Pengfei a étudié durant sept ans en France et lorsqu’il est revenu à Pékin retrouver son grand-père et ses parents, il n’a pas reconnu la ville. Elle avait été transformée, agrandie, à la fois embellie et défigurée. Sa famille avait dû subir les assauts conjoints de l’État et des promoteurs et quitter son logement.
Son film s’inspire sans doute un peu aussi du chef-d’œuvre de Zheng Junli, Corbeaux et moineaux (1949), qui avait déjà illustré la vie de Shanghai face à la modernité, à travers la vie d’un immeuble voué à la destruction et l’expulsion des ses résidents.
En 2015, la vie à Beijing est sans doute devenue pire encore.
Le cinéaste a voulu nous faire connaître l’envers du décor de cette ville tentaculaire de quelque 23 millions d’habitants : nombre de Chinois, fraîchement débarqués, s’installent dans les sous-sols de la capitale et y créent une ville souterraine invisible, sorte de négatif de la ville en surface, toute en tours et néons.
Entre misère et cohabitation, on croise quelquefois des gens étranges, mais aussi des jeunes comme Yun qui danse dans un cabaret en rêvant d’un travail de bureau, et Yong Le, jeune homme qui vend des meubles usagés et se promène les yeux bandés une grande partie du film, comme s’il ne voulait pas voir le monde en train de se transformer.
Outre l’influence du cinéma extrême-oriental, on découvre ici celle, subtile, de Fellini, notamment dans les scènes où l’on voit quelques habitants souterrains (qu’on appelle à Beijing les beipiao, à savoir "les errants de Beijing") menant une vie quasi mythique, et, lors des inondations des sous-sols, la scène ne va pas sans évoquer la villa romaine dont les fresques se perdent à jamais dans Fellini Roma.
Le film est beau mais manque peut-être un peu de rythme, oscillant un peu trop souvent entre constat social et histoire d’amour sans véritable dimension romantique.
Mais quasi hypnotique, Beijing Stories marque cependant l’imaginaire du spectateur. L’esprit de lucre qui mène le monde capitaliste s’incarne dans l’allégorie du vieux couple qui rêve d’obtenir une maison donnant sur un lac.
Pengfei Song analyse ainsi la situation de ces personnes arrachées à leur maison, à leur terre, et qui en souffrent : "L’acteur Zhao Fuyi qui joue le vieux Jin est la parfaite incarnation d’une époque, il sait avoir le comportement fougueux de l’indigné, tandis que son regard exprime une douloureuse résignation. […] L’actrice qui joue la femme de Jin est ma propre mère. Elle a elle-même vécu les affres du relogement, ce qui fait qu’elle donne à l’expression du personnage une dimension de vérité toute particulière".
Comme le dit Marie-Pierre Duhamel, spécialiste du cinéma chinois : "Le rêve chinois n’existe que pour certains, au prix des souffrances du plus grand nombre."
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 369-370, décembre 2015
Beijing Stories. Réal, sc : Pengfei Song ; sc, mont : Isabelle Mayor ; ph : Shu Chou ; déc : Wang Zhaohui. Int : Ying Ze, Luo Wenjie, Zhao Fuyu, Li Xiaohui (Chine-France, 2014, 75 mn).