par Opale Muckensturm
Jeune Cinéma n° 369-370, décembre 2015
Sortie le mercredi 13 janvier 2016
La jeune réalisatrice Éva Husson réussit un pari risqué avec son premier long métrage : celui de faire un film sur la sexualité adolescente sans tomber dans le trash et le choquant, comme ce dont on a l’habitude avec Larry Clark (par exemple).
Un groupe d’adolescents de 16 ans, au lycée à Biarritz, inventent un nouveau jeu : le "Bang Gang". Les personnages principaux, poussés par leur volonté d’expérimentation, leur soif de liberté, leur recherche de soi, mais aussi - d’où le sous-titre - l’amour, vont découvrir ou redécouvrir le sexe, collectif ou individuel, sous l’emprise de drogues et alcools.
Bang Gang décrit à merveille les relations complexes entre adolescents : son atout est de se concentrer sur les trajectoires de chacun, qui s’entremêlent tout en étant opposées.
On comprend que Éva Husson ne voulait pas dépeindre toute une génération en généralisant un cas isolé (car le film est inspiré d’une histoire vraie), ce qui l’aurait fait tomber dans le cliché, mais plutôt d’exprimer ce désir de liberté et de découverte sans limite des adolescents, accentué par Internet (qui est une question essentielle ici), et de représenter cette phase de recherche personnelle poussée à son paroxysme.
La force du film est de plonger les jeunes acteurs dans un univers qu’ils connaissent bien, le leur, et de se concentrer non pas sur leur jeu, mais leur personnalité : les personnages sont donc bien développés dans leur singularité, ce qui leur donne une profondeur très appréciable. Il en résulte un naturel exceptionnel.
Mis à part Finnegan Oldfield (Alex) et Daisy Broom (Leatitia), les comédiens sont des non-professionnels : la révélation du film est l’actrice principale, Marilyn Lima, qui incarne George, blonde beauté fatale dont la seule présence dégage une aura sensuelle irrésistible.
Bang Gang peut être perçu comme le récit d’une étape de vie en tant qu’objet indépendant, clos sur lui-même, ce qui est renforcé par les voix off qui ouvrent et ferment le film.
Il est la représentation d’un moment de l’adolescence, un passage intense mais éphémère, d’où l’impression que peut avoir le spectateur d’être transporté sur une autre planète.
Les scènes de "bang-gang" en elles-mêmes sont filmées d’une telle manière qu’elles paraissent oniriques, et ce dès la scène d’ouverture, où l’on voit, entre autres incongruités, une fille rousse courir nue dans un jardin, belle allégorie de la liberté sexuelle. Le film ne propose pas un message moralisateur qui réduirait sa portée, mais met tout de même le doigt sur un problème bien réel chez les jeunes : l’inconscience face aux rapports sexuels non protégés.
La force de ce film est de montrer beaucoup de scènes de sexe sans tomber dans la pornographie ou la vulgarité : le sujet est traité avec énormément de douceur, de naturel et même de tendresse. La caméra caresse les corps, multiplie les flous et les gros plans. Les gestes sexuels des acteurs, leurs déplacements, sont quasiment chorégraphiés.
La cinéaste affirme un style bien personnel. Elle crée une atmosphère envoûtante, une ambiance à la fois intimiste et exhibitionniste. C’est ce jeu entre l’intime et l’extime qui est au cœur du film.
Est-il possible de retrouver une relation privilégiée et privée avec quelqu’un, à commencer par soi-même, au milieu de cette débauche et ces rapports entièrement collectivisés ?
Opale Muckensturm
Jeune Cinéma n° 369-370, décembre 2015
Bang Gang (Une histoire d’amour moderne). Réal, sc : Éva Husson ; ph : Mattias Troelstrup ; mont : Émilie Orsini. Int : Finnegan Oldfield, Marilyn Lima, Lorenzo Lefèbvre, Daisy Broom, Fred Hotier (France, 2015, 98 mn).