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À jamais (2016)
de Benoît Jacquot
publié le mercredi 7 décembre 2016

par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle de la Mostra de Venise 2016

Sortie le mercredi 7 décembre 2016


 


Il n’y a pas une vérité, il n’y a que de multiples histoires qu’on raconte.
Et une histoire, il lui faut un début.
Dans À jamais, le début de l’histoire, c’est un coup de foudre, suivi d’une vie banale.
La fuite romantique, l’amour dans une belle maison près de l’océan, et très vite, les minuscules obstacles et les terrifiants pépins de la réalité, tout ça, on connaît. La foudre se plante souvent, et ne sait pas durer, la foudre ne guérit pas les douleurs qui lui préexistent. Les amants vivent mal. On connaît et on s’ennuie un peu.


 

Et puis, l’amant disparaît sans aucun signe avant-coureur.
L’amante se voit brutalement contrainte de changer de définition, et de "devenir une veuve". Il y a un accident. Les vies ne sont faites que d’accidents. Peut-être même que tous les accidents sont des sortes de suicides, allez-savoir. Il y a une maison. Les maisons sont toujours hantées. L’amante a beau le savoir, elle a du mal à devenir "veuve".


 

Ce deuil si social et si confortablement codé autrefois, est aujourd’hui réduit de toute part à ce fameux "travail", ce mot squelettique descendu sur les trottoirs du langage commun. Ce fameux deuil s’avère un chemin intime extraordinairement difficile. Après la mort, il n’y a plus d’arrivages. On doit faire avec des mots et des images de deuxième main, nécrosés, tout a déjà servi.


 


 

Le film, alors, change de profil.
Il devient une méditation sur la solitude, une prison où ni personnes, ni choses ne peuvent plus intervenir. Le seul dialogue possible est désormais avec l’invisible.
La "veuve" devient la jeune fille et LE mort.

L’hypnose immobile de son ordinateur, les écrans des caméras de surveillance des autoroutes en boucle, la maison devenue scène de théâtre, tout lui sert à manger le mort. Pour continuer, pour survivre.


 

Le mort, lui, ce squatteur, avec ses lunettes ou ses cigarettes, devient "ce petit secret dont elle est à la fois le dictateur et le peuple opprimé".

L’amour, par la force des choses, trouve enfin son éternité et son ravissement : mimétisme, identification, fusion.


 

Jacquot est connu pour aimer les actrices. Il aime aussi les acteurs et les couples. (1)

Dans son œuvre, ce film funèbre se présente un peu comme une étape, une note d’explication qu’il laisserait derrière lui sans se retourner, un a posteriori elliptique.

Il y exprime que ce qu’il aime vraiment. Ce qui l’anime, plus que les corps, c’est ce qui circule entre les corps, ce qui émane des corps. Ce sont les âmes et ce qu’il y a entre elles. Le jeu, l’aura, ce qui est indicible, imperceptible. Sauf, peut-être, quand c’est pris au piège du cinéma.
Peut-être, toute sa vie, avec plus ou moins de bonheur, n’a-t-il traqué que ça : ce qu’il y a entre les âmes, depuis son premier Lacan jusqu’à ce dernier "c’est toujours les autres qui meurent".


 

Peut-être qu’avec ce film, malgré sa forme irrégulière (ou peut-être à cause d’elle), Benoît Jacquot a - enfin - réussi sa vraie rencontre avec Henry James.

Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Cf. René Prédal, Benoît Jacquot. "Tous les acteurs sont des actrices", Jeune Cinéma n°342-343, décembre 2011-janvier 2012.

À jamais. Réal : Benoît Jacquot ; sc : Benoît Jacquot et Julia Roy d’après le roman The Body Artist de Don DeLillo (2001) ; ph : Julien Hirsch ; mu : Bruno Coulais ; mont : Julia Gregory ; déc : Paula Szabo ; cost : Raf Simons. Int : Mathieu Amalric, Julia Roy, Jeanne Balibar, Victoria Guerra, José Neto (France-Portugal, 2016, 86 mn).

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