Alain Jessua (1932-2017) est mort hier, jeudi 30 novembre 2017.
Sa mort n’a fait l’objet d’aucune "alerte", à peine une vague breaking new laconique en bas de l’écran sur une chaîne d’infos hier dans la nuit. C’était juste un réalisateur pour cinéphiles.
Il avait commencé très fort, par un prix Jean-Vigo du court en 1957, Léon la Lune et un prix de la première œuvre à Venise 1964, avec l’inoubliable La Vie à l’envers.
Trop, peut-être, car l’accueil par la critique de ses films suivants en souffrit.
Celle-ci croyait avoir trouvé un auteur, exigeant, à l’inspiration sévère, et voilà qu’il s’intéressait à la bande dessinée et fréquentait Guy Peellaert avec Jeu de massacre (1967).
Ou bien qu’il tournait avec des stars, Delon, Girardot et Duchaussoy dans Traitement de choc (1973), Delon et Jean Yanne dans Armaguedon (1977), Depardieu dans Les Chiens (1979).
Que l’originalité de ses scénarios tranche avec les véhicules habituels des stars en question n’y faisait rien : Jessua était en déséquilibre entre une presse un peu déçue et un grand public un peu décontenancé, qui ne suivait pas vraiment cet intellectuel littéraire éclectique et inclassable, en quête de bonheur plus que de notoriété.
Encore moins quand il se tourna vers des variations sur le fantastique - Paradis pour tous avec Patrick Dewaere (1982) ou Frankenstein 90 (1984) avec Jean Rochefort et Eddy Mitchell et quelques récompenses de festival. Ou même vers le thriller hitchcocko-chabrolien, En toute innocence en 1988, malgré Michel Serrault et Nathalie Baye.
Neuf ans plus tard, Les Couleurs du diable (1997) ne sauva pas la mise.
À partir de 1999, Jessua n’exprima plus qu’à travers des romans (huit en vingt ans) son univers bien particulier, entre hyperréalisme formel et fascination pour la déviance.
La Cinémathèque française, à Bercy, avait programmé une rétrospective en sa présence, ce printemps 2017 (19-29 avril 2017).
Au cours de sa rencontre avec Bernard Payen, il était apparu comme un vieux monsieur malicieux et souriant qui semblait apaisé. Il avouait qu’il aurait aimé faire des films d’aventures, mais comme il n’en avait pas les moyens, il s’était tourné vers les aventures intérieures.
Maintenant, je suis seul avec moi-même. J’ai chassé les hommes, j’ai chassé les autres, j’ai chassé leurs masques, disait Jacques Valin alias Charles Denner, dans La Vie à l’envers.
C’était un auteur véritable qu’on ne manquera pas de revisiter.
Il est trop tard pour lui mais pas pour nous.
JC en ligne directe