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Amours d’une blonde (les) (1965)
de Miloš Forman
publié le mercredi 20 novembre 2019

par Jean Delmas (et Miloš Forman)
Jeune Cinéma n°9, octobre 1965

Sélection du Festival de Venise 1965

Sorties les mercredis 15 septembre 1965, 23 septembre 2009 et 20 novembre 2019


 


Un soir, attendant le sommeil, deux filles racontent leurs premières expériences de l’amour, plutôt malheureuses, mais sans gravité. Cela se passe dans une petite ville de la province tchèque, dont toute la vie tourne autour d’une fabrique de chaussures, dévoreuse de main-d’œuvre féminine : 2000 jeunes filles vivant en semi-pensionnat, 200 hommes seulement. À la demande des autorités locales, on y fait stationner des soldats en manœuvres : pas de chance, ce sont des réservistes !


 

Le soir de la fête en l’honneur des soldats, c’est à Milda, jeune musicien venu de Prague, que la jeune Andula s’est donnée comme à l’homme de sa vie. Le samedi suivant, elle s’est rendue à Prague, rabrouée par les parents, déjà oubliée par son Milda. Elle couche sur le divan, passe sa nuit entre un père tolérant et une mère indignée et repart au petit matin vers son pensionnat. Le récit se referme sur lui-même : la blonde raconte à ses camarades une merveilleuse journée à Prague…


 


 

Ainsi - la jeune fille devenant le personnage central au lieu du jeune garçon, Les Amours d’une blonde se place, pour les thèmes et pour le style, sur la même ligne que L’As de pique (Pierrot Noir), il y a deux ans. (1) Comme nous disions à Milos Forman que certains le lui reprochaient, la réponse jaillissait : "Et pourquoi pas ? Je n’ai pas pensé faire un film différent. En deux ans, on ne peut pas se changer au point de faire un film différent."


 

Aussi bien, il faut du temps à notre public pour faire connaissance avec une œuvre qui, s’il était moins routinier, aurait dû, dès le départ, le charmer, au moins par son humour.
Il y a, au matin de la nuit d’amour avec Milda, un cadrage très "Godard", accordé à un dialogue assez délicieux : Milda explique à Andula, avec gestes à l’appui, où Picasso pourrait lui mettre des yeux s’il la peignait. Il lui dit qu’elle est comme une guitare de Picasso. Elle demande si ce serait bien d’être ainsi. Le dialogue, quand on le résume, semble également très godardien par ses allusions culturelles. Mais Milos Forman n’a pas pu apprendre cela chez Godard : l’humour ne s’apprend pas.

Le critique Ugo Casiraghi (2) avait parlé d’un "délicieux humoriste de l’école de Prague." Pour Forman, l’humour est-il essentiel dans son œuvre ?

"J’aime beaucoup m’amuser et dans la vie et dans le cinéma. Mais dans la vie, il y a tristesse et joie. On peut présenter le même sujet du côté tragédie ou du côté comédie. Mais pour une bonne comédie, il faut un sujet profond. Je suis heureux qu’on trouve de l’humour dans mon film, mais je serais malheureux si l’on n’y voyait que ça."

Cependant, tout le début du film, au moins tout ce qui concerne les réservistes, est éblouissant de rebondissements humoristiques.


 

À la conférence de presse (3) quelqu’un avait regretté un manque d’unité.
Milos Forman avait répondu : "Peut-être, mais je n’ai pas cherché une intrigue bien construite. C’est comme dans la vie : les choses ne se passent pas selon les prévisions."

"Comme dans la vie", qui revient souvent, marque le style très impressionniste de Milos Forman, très direct, pas relâché pourtant, ne serait-ce que par le soin donné à la direction d’acteurs intelligents (Pucholt, le maçon de L’As de pique, est ici, comme toujours, émerveillant).


 

Quant au thème, une fois de plus : la jeunesse. Non pas la jeunesse abstraite tombée de la Lune, mais celle qui "s’explique" avec les adultes. Voici, par exemple, plastronnant paternellement au milieu des filles, ce fonctionnaire du comité d’entreprise, béatement et docilement content d’avoir fait venir pour "ses" jeunes filles de vieux réservistes.

"Il représente le Conseil de syndicat qui, chez nous, a un rôle à côté de la direction d’entreprise. Il est bien gentil, si on veut, mais il ne peut rien faire et il est accoutumé à jouer ce rôle : c’est un chef d’orchestre sans orchestre."

Mais cette jeunesse est surtout située dans le cadre de la famille, une famille assez traditionnelle, qu’on pourrait aussi bien trouver chez nous - et c’est ce qui rend Forman universel.


 


 

"Sur la confrontation entre les générations, je n’ai pas voulu juger, j’ai regardé la relation des générations au sein de la famille. La famille est en crise, elle pourrait jouer un rôle important pour humaniser la vie des jeunes. Et puis il se trouve que j’ai été orphelin à 6 ans. Parce que j’enviais mes camarades qui avaient encore leurs parents, j’observais attentivement. Là encore, j’avais juste regardé et cette expérience d’enfant aujourd’hui est ma force."

Finalement, c’est la jeunesse qui est au centre de l’œuvre de Milos Forman et, vue par un cinéaste de 33 ans, la vraie jeunesse de 20 ans. Pourquoi ? Il l’a écrit dans un texte publié par les soins du cinéma d’État tchécoslovaque.

"Simplement parce que la vie que mènent les jeunes gens de mon âge et la génération d’un certain âge est une chose que je ne suis pas encore parvenu à bien comprendre. Les jeunes de 20 ans sont plus proches de moi. Sans doute ai-je déjà un certain recul depuis cet âge, ce qui me permet d’en parler plus objectivement. Mon dernier film est destiné à 98% de la jeunesse, de qui personne ne s’occupe. Toutes les offres alléchantes : ’Devenez une génération de cosmonautes, vous commanderez au vent, à la pluie, etc.’ ne peuvent avoir une valeur réelle que pour les 2% restants. Ce n’est pas aux garçons et aux filles ordinaires que s’ouvrent ces nobles perspectives. Ils espèrent pouvoir bien organiser leur vie, et souvent, ça suffit à beaucoup d’entre eux… J’aime, je comprends et je connais des jeunes gens ordinaires, et, si vous voulez, je suis entiché d’eux, d’abord parce que personne ne s’occupe d’eux. Voilà tels qu’ils sont nos héros de cinéma."


 

Ce qui frappe le plus, chez Milos Forman comme dans ses films, c’est l’homme qui sait regarder. Regarder, pas juger, c’est la formule qui revient toujours. Et regarder ainsi, c’est démystifier.

"Du succès de L’As de pique, j’ai recueilli la leçon suivante : les gens dans le monde entier, plus précisément dans toute l’Europe, sont extrêmement reconnaissants si on leur parle avec franchise, ce qui ne signifie ni modestie ni simplicité exagérée. J’ai en vue la franchise sans compromis, difficile au sujet d’une opinion personnelle."


 

Quand un journaliste italien pose à Milos Forman la question saugrenue : "Croyez-vous qu’à l’avenir, hommes et femmes s’embrasseront les yeux ouverts et non plus les yeux fermés ?", il est d’abord un peu stupéfait. Puis il réfléchit, et, avec sa merveilleuse sincérité : "C’est vrai qu’au début j’embrassais ma femme les yeux fermés, et maintenant je l’embrasse les yeux ouverts."

Ces yeux ouverts sur l’amour d’aujourd’hui, sur la jeunesse d’aujourd’hui, sur le reste : c’est Milos Forman.

Jean Delmas (et Milos Forman)
Jeune Cinéma n° 9, octobre 1965

1. L’As de pique (Pierrot Noir) est le premier film de Milos Forman. Il a reçu La Voile d’or (devenue le Léopard d’or en 1968) du Festival de Locarno.

2. Ugo Casiraghi (1921-2006).

3. Conférence de presse du Festival de Venise 1965, 22e édition (24 août-6 septembre 1965). Jury : Carlo Bo, Lewis Jacobs, Nikolaj Lebedev, Jay Leyda, Max Lippmann, Edgar Morin, Rune Waldekranz. Lion d’or pour Sandra (Vaghe stelle dell’Orsa) de Luchino Visconti.


Les Amours d’une blonde (Lásky jedné plavovlásky). Réal : Milos Forman ; sc : M.F. & Jaroslav Papoušek ; ph : Miroslav Ondříček ; mont : Miroslav Hájek ; mu : Evzen Illín. Int : Hana Brejchová, Vladimír Pucholt, Vladimír Menšík, Ivan Kheil, Jirí Hrubý, Milada Jezková, Josef Sebanek, Josef Kolb (Tchécoslovaquie, 1965, 90 mn).



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