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Fais-moi très mal mais couvre-moi de baisers (1968)
de Dino Risi
publié le mercredi 17 mai 2017

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°69 de mars 1973
et
par Pierre Beneyton
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014

Sortie le jeudi 1er février 1973


 

Pour saluer son cinquantenaire, Jeune Cinéma a posé une question à ses collaborateurs : Quel film des cent dernières années aimeriez-vous sortir de l’ombre ?
Ce film fait partie des hidden gem que Jeune Cinéma avait déjà sélectionnés à leur sortie.


Straziami est défini par Dino Risi comme une parodie des romans-photos. Son histoire comporte en effet tous les éléments narratifs du genre : coup de foudre, trahison, fuite de l’héroïne, retrouvailles, vengeance et happy end.


 

Il ne s’agit pas de montrer des personnages aliénés et mystifiés par le roman-photo comme l’avait fait Federico Fellini dans Le Cheik blanc, (1) où une midinette rencontrait un acteur minable, modèle d’un héros à la Valentino, et perdait ses illusions. Là, le comique surgissait du contraste entre le mythe et l’expérience de la fille.
Dans le film de Dino Risi, le roman-photo n’est pas vécu sur le plan de l’imaginaire par les héros, il constitue la trame des événements que vivent les personnages.
Le comique vient alors du contraste entre leurs aventures héroïques, et le statut modeste qu’il leur a donné : lui, un petit coiffeur et elle, une couturière, statut souligné par l’accent et l’allure provinciale, celle des Marches. Si l’actrice joue l’idiote, Nino Manfredi lui, joue à fond la situation sociale et le provincial quelconque.


 

Le résultat est que loin de démystifier le roman-photo, le film le magnifie et démontre la vitalité du genre. En fait, le roman-photo rendu au mouvement du cinéma, c’est le retour au mélodrame avec son alternance de scènes comiques et tristes, et avec ses thèmes populaires : pouvoir des parents sur les enfants, quête des héros perdus dans un monde étranger - ici Rome pour les émigrés - avec la confrontation brutale du monde des riches et de celui des pauvres.


 


 

La scène de la réception mondaine, où Nino Manfredi, larbin devenu enragé, gifle le patron, désigne comme "idiot" le maître, et non le pauvre type des Marches qui préfère la liberté du clochard à l’esclavage de la domesticité - encore un thème de mélodrame.


 

En fait, si on rit beaucoup, c’est pour un seul épisode : celui de la jalousie, traité en vaudeville plutôt qu’en parodie - un homme qui se refuse à une femme. Le rire vient d’ailleurs, et plus spécialement des vacheries à la Risi, tel ce muet - le mari sourd-muet, version plaisante du mari aveugle -, qui, après avoir recouvré la parole, entre dans un ordre religieux voué au silence.


 

Il y a, en outre, ici, un certain merveilleux visuel qui fait de la chambre du tailleur un monde irréel coloré, une petite île dans la trivialité de la Rome moderne.


 

Il y a enfin un hommage non-parodique fait à Harpo Marx, avec sa perruque rousse, ses messages sifflés, son costume de peau-rouge venu de Go West. Cela, c’est pour le client "cultivé" qui aime toujours, en voyant un film, penser à d’autres films.
Mais pour celui-là aussi, comme pour le naïf, Straziami est un beau mélodrame.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°69 de mars 1973

* Pascal Thomas en a fait un remake : Ensemble nous allons vivre une très très grande histoire d’amour (2010).

1. Le Cheik blanc aka Courrier du cœur (Lo sceicco bianco) de Federico Fellini, avec Albertto Sordi et Giulietta Masina, et une musique de Nino Rota, a été sélectionné à la Biennale de Venise 1952. Il est sorti en France en 1955.



Dans ma prime jeunesse, j’ai commencé à vraiment aimer le cinéma un premier mai.
Je me souviens que ce jour-là, il y avait une course cycliste amateur qui se déroulait dans les alentours escarpés de Grenoble, avec une arrivée sur une grande artère de la ville, et se terminait devant la devanture du sponsor, le magasin "Claudex". Je me souviens que cela se passait pour la 19e édition, et j’attends toujours la vingtième......
Ce jour-là après la course, j’ai pu aller seul au cinéma, et je suis allé voir, dans un cinéma du centre ville (qui est devenu une salle spécialisée dans le porno par la suite), un film italien dont le titre m’avait plu, Fais-moi très mal, mais couvre-moi de baisers de Dino Risi.


 

Et voilà comment a commencé mon grand amour pour la comédie italienne, et plus généralement pour le cinéma italien. Il faut dire que quand on a douze ans et qu’on voit Ugo Tognazzi et Nino Manfredi un dimanche après midi, alors la vie est belle.


 

Au même moment je découvrais une revue qui fera mon éducation cinématographique (avant que Jeune Cinéma ne prenne le relais), Écran. (1) Et justement, le numéro de ce mois de mai parlait de cinéma italien. La boucle était bouclée, et la passion démarrait.


 


 


 

La comédie italienne a connu une décennie prodigieuse, et avec elle tout le cinéma italien auquel Jeune Cinéma a consacré tant d’articles, d’interviews, de dossiers, en particulier grâce à Andrée Tournès, (2) la meilleure carte de visite pour les frères Taviani, qui restent, encore aujourd’hui, pour moi, un ressourcement inépuisable.

Pierre Beneyton
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014

1. Sur la revue Écran (1972-1978), voir le site Calindex.

2. Andrée Tournès, co-fondatrice de Jeune Cinéma, avec Jean Delmas et Ginette Gervais-Delmas, a dirigé la revue de 1979 à 2012.


Fais-moi très mal mais couvre-moi de baisers (Straziami, ma di baci saziami). Réal : Dino Risi ; sc : D.R., Agenore Incrocci & Furio Scarpelli ; ph : Sandro D’Eva ; mont : Antonietta Zita ; mu : Armando Trovajoli. Int : Nino Manfredi, Pamela Tiffin, Ugo Tognazzi, Moira Orfei (Italie, 1968, 105 mn).



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