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Incroyable Vérité (l’) (1988)
de Hal Hartley
publié le mercredi 25 septembre 2019

par Hélène J. Romano
Jeune Cinéma n°218, novembre 1992

Sélection officielle au Sundance Festival 1990

Sorties les mercredis 23 septembre 1992 et 25 septembre 2019


 


Nous avions découvert Trust Me, (1) il y a quelques mois, avec le sentiment de rencontrer un nouveau talent très original. Le premier film de Hal Hartley, L’Incroyable Vérité (1988), n’était pas encore distribué en France.
Cet automne 1992, il est à l’affiche, ainsi que le dernier, Simple Men, réalisé en 1992.

On retrouve dans l’un et l’autre le "ton" Hartley, à la fois grave et léger, plein d’humour et de feeling, et cette continuité semble annoncer la consolidation d’une personnalité du jeune cinéma américain. Les "héros" de Hartley ne sont pas des personnages hors normes, ils ne portent pas - en tant qu’auteur du scénario, il ne veut pas leur faire porter - une charge dramatique exemplaire ou tragique. Ils sont tout simplement comme les jeunes gens autour de nous, hésitants, à la recherche (ou non) de leurs repères.


 

Dans L’Incroyable Vérité, un jeune homme d’une trentaine d’années, Josh (Robert Burke), sortant de prison, retourne dans sa ville natale. Seul, fauché, il cherche du travail. Dans un magasin, il fait la connaissance de Audrey (Adrienne Shelly, la Maria de Trust Me), qui s’occupe de livres et lui indique l’atelier de mécanique de son père pour qu’il lui demande un emploi.


 

Malgré son passé, le père et son assistant l’accueillent, parce qu’il est bon mécanicien. On sait qu’il a été incarcéré pour deux meurtres qui se sont passés dans des conditions assez obscures. À ceux qui lui posent des questions, il raconte sans détour comment cela s’est déroulé, un peu malgré lui, en dehors. Il dit les choses à plat, sans passion. On sent qu’il éprouve la conséquence de ses actes comme un destin d’exclusion, mais il ne cherche à attendrir personne.


 


 

Cet aspect lointain, détaché, retient d’emblée Audrey : à côté des gens insignifiants qu’elle connaît, son ex-fiancé ridicule et jaloux, le photographe dragueur et hâbleur, Josh semble bien plus intéressant. Il est seul, taciturne et semble ne rien attendre de la vie. Ils deviennent amis, mais il ne fait jamais un geste vers elle. Le père d’Audrey la met d’ailleurs en garde, et cédant par avidité aux propositions du photographe, la pousse à partir en ville avec ce dernier pour faire une carrière de modèle.


 


 

La cocasserie des dialogues entre le père et la fille au sujet des études qu’elle veut faire, en contradiction avec les études rentables qu’il exige et qu’elle paierait en grande partie, en fait une scène de haut comique.

L’une des clés de Hartley réside dans la construction du scénario : des scènes en déphasage constant, des sentiments inversés (quand l’un aime, l’autre non ou l’un croit que, alors qu’il se passe tout à fait autre chose), puis l’introduction d’un fait extérieur qui change tout.
Il utilise aussi le comique de situations : Audrey garde sur elle la clé anglaise de Josh, tous les personnages cherchent quelqu’un au même moment dans le même endroit.
Et il adore la rhétorique : ses personnages féminins posent toutes sortes de questions existentielles sur l’engagement, la vie, la responsabilité, le rapport à l’argent.


 

Ce sont surtout les femmes qui mettent les choses en question. Hartley a une prédilection pour elles, en souvenir de sa mère, et "parce qu’elles ont une présence et une façon de voir les choses, parce qu’elles se lancent dans des situations".


 

[...]*

Hartley utilise tout, les jeux de mots, les coqs-à-l’âne, le comique de situation (échange d’objets insolites en gage d’amitié - la grenade dans Trust Me, la clé anglaise, le revolver ou la médaille ici), le discours politique ("la loi est un constat passé entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien, pour avoir la paix") ou psychologique, sur la connaissance de soi-même ou l’approche des femmes. Les dialogues sont dits sur un ton volontairement neutre, comme celui du film, et les scènes se succèdent comme des cases de BD, chacune contenant des idées ou des faits qui se juxtaposent, sans besoin de transition.


 

C’est ce qui donne aux films de Hartley cet aspect direct qui leur est particulier. Par certains côtés, malgré son style tout à fait personnel, il fait penser à Cassavetes, avec la même liberté de mouvements, une famille de comédiens retrouvée dans tous ses films (Adrienne Shelly, Martin Donovan, Robert Burke et le chef-opérateur Michael Spiller), ce qui crée une connivence entre eux et avec le spectateur.

Hélène J. Romano
Jeune Cinéma n° 218, novembre 1992

* Le texte originel (Jeune Cinéma n°218) est commun aux deux films, The Unbelievable Truth et Simple Men les deux films étant sortis à un mois de distance en 1992. Pour la commodité de la consultation en ligne, nous l’avons scindé en deux sur le site.

1. Trust me (Trust) de Hal Hartley (1990).


L’Incroyable Vérité (The Unbelievable Truth). Réal, sc, mont, : Hal Hartley ; ph : Michael Spiller ; mu : Jim Coleman . Int : Adrienne Shelly, Robert Burke, Chris Cooke, Kelly Reichardt (USA, 1988, 96 mn).



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