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Voyage (le) (1991)
de Fernando Solanas
publié le samedi 21 novembre 2020

par Hélène Romano
Jeune Cinéma n°225, janvier 1994

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 1992

Sortie le mercredi 13 octobre 1993


 


Au fin fond du continent sud-américain, à Ushuaia, Terre de Feu, un jeune garçon, Martin Nunca, nourrit le projet de retrouver son père qui est parti vers le Nord depuis des années. Il quitte son pays aux neiges éternelles, en vélo. Et là commence un voyage initiatique, un passage à l’âge adulte en même temps que la découverte de la réalité du continent, ou plutôt des réalités, car chaque pays a une personnalité différente, mais soumise à l’oppression locale et étrangère.


 


 

Fernando Solanas a toujours affiché avec force ses convictions, et de manière directe - L’Heure des brasiers, Les Fils de Fierro... Avec Sud, il amorçait un style onirique. (1) Il le développe ici, avec une dimension de dérision et de surréalisme qui donne une grande force au film.


 

Il utilise d’ailleurs plusieurs plans de travail.
D’abord, montrer la beauté du pays à l’état naturel - chaînes de montagnes enneigées (au Sud), immense pampa, symbole de liberté (les Andes) et le Machu Pichu, trace ineffaçable de la civilisation indienne, pré-coloniale. L’image très belle de l’immense carcasse de navire espagnol échoué au détroit de Magellan est significative, elle aussi, mais dérisoire puisque l’invasion, maintenant se produit par d’autres moyens, qu’il dénonce plus loin.
Les images du tout début plantent le décor - l’île qui tangue et perd l’équilibre (fait signalé à la télévision comme un bulletin météo courant), la galerie de portraits des grands hommes qui s’écroulent les uns après les autres, le collège à l’abandon (il neige dans les classes), les bâtiments qui s’effondrent par pans entiers dans un nuage de cendres...

Lorsque Martin arrive à Buenos Aires, la ville est inondée, les égoûts ont débordé, c’est l’horreur au quotidien. Mais tout le monde semble habitué, les habitants survivent dans ce cloaque avec philosophie, et même un certain humour.


 


 

Parallèlement à ces images délirantes, le texte, lui, reste serré, au plus près de l’actualité. Par exemple, à la question de Martin "Qu’est-ce que c’est, ici ? Les Îles Malouines ?" on répond "Non, ce sont les Falkland, New Patagonia. C’est anglais, avec une société pétrolière américaine, vous ne pouvez circuler ici".
En Bolivie et au Pérou, il croise des manifestations de paysans contre "la collecte de la Dette Extérieure". En Amazonie, c’est l’enfer des mines d’or qui est dénoncé, dans les faits.


 

À chaque passage vers une nouvelle situation, des croquis que son père, dessinateur, avait faits, illustrent ou anticipent les événements. Il rencontre en particulier l’un de ses personnages de B.D., le "camionneur fou" qui sillonne le pays du Nord au Sud et lui commente les coups d’État du Panama et du Salvador. Puis une image de jeune femme, souriante et énigmatique, lui apparaît, dans chaque pays. Rêve, illusion ? Chaque fois qu’il croit l’atteindre, ou l’étreindre, elle disparaît.


 


 

Au Brésil, la présentation de mode de nouvelles ceintures à nombreux crans, pour les serrer sans difficulté, est une caricature des gens entravés et muselés. Et la scène de réception par le président La Grenouille (le président argentin) du président américain à la conférence de l’OPA (Organisation des pays agenouillés) qui déconseille la station debout, trop dangereuse, force le rire. La dérision est ici un ressort dramatique subversif.

Fernando Solanas se souvient de tous ces auteurs sud-américains (Bioy Casares, Borges, Garcia Marquez...) qui déjà utilisaient le fantastique pour faire com prendre une réalité inexprimable. Le Voyage, dit-il, "c’est l’expression de notre apocalypse. Le problème, chez nous, c’est l’habitude de renoncer à tout". D’où la présence de ce tambour qui résonne sans cesse, afin que les gens restent en éveil.
Au terme de son voyage, au Mexique, Martin se rend compte qu’il a trouvé dans l’image de ce père éparpillé, absent et présent, un enseignement : "Faire ce que l’on a à faire et tenter d’être heureux". Un message destiné autant à lui-même qu’à tous les pays qu’il a traversés.

Hélène Romano
Jeune Cinéma n°225, janvier 1994

* Cf. aussi Entretien avec Fernando Solanas, à propos de El Viaje.

1. L’Heure des brasiers (La hora de los hornos : Notas y testimonios sobre el neocolonialismo, la violencia y la liberación, 1968) a été presenté au Festival de Pesaro en juin 1968, au festival de Mannheim en novembre 1968, au Festival de Cannes en mai 1969, et il est sorti dans les salles françaises le 18 juin 1969.
Les Fils de Fierro (Los hijos de Fierro), sélection de la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 1978, n’est jamais sorti en France.
Le Sud (Sur, 1988), en sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 1988, a reçu le Prix de la mise en scène.


Le Voyage (El viaje). Réal, sc : Fernando Solanas. ph : F.S. & Félix Monti ; mu : F.S., Aitor Piazzola & Egbert Gismondi ; mont : Alberto Borello & Jacqueline Meppiel. Int : Walter Quine, Soledad Alfaro, Dominique Sanda, Marc Berman, Fernando Siro, Nathán Pinzón Carlos Carella (Argentine-France-Italie, 1991, 142 mn).



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