home > Personnalités > Ortega, Luis (né en 1980) (e)
Ortega, Luis (né en 1980) (e)
Entretien avec Andrée Tournès (2002)
publié le dimanche 21 décembre 2014

Rencontre avec Luis Ortega (né en 1980)
à propos de Black Box (2002)

Festival de Mannheim-Heidelberg, novembre 2002
Mention spéciale au festival de Mannheim-Heidelberg 2002

Jeune Cinéma n° 282, mai 2003


Black Box ne ressemble à rien.

Sur un motif universel, la reconstitution - après quelle catastrophe ? -, d’une cellule familiale, le tout jeune cinéaste argentin offre au spectateur un film au présent, où chaque plan accroche le regard.
Le film émeut et comble sans jamais susciter le besoin de connaître le passé et ni l’attente de l’après. Le présent des corps domine celui des voix.

Une jeune fille masse longuement la jambe parcheminée d’une très vieille dame, circule à bicyclette dans sa rue, accompagnée d’un air de valse, un régal à la Rozier.

Un homme squelettique sort de prison, marche mal équilibré, les jambes écartées, et rejoint le refuge de l’Armée du Salut.

Plus avant, filmée frontalement, la fille recroquevillée sur un banc regarde en silence l’homme maigre allongé et qui dort. Quand elle apporte un plat spécial pour une fête, qu’on sonne à la porte et que la vieille dit : "Aujourd’hui, laisse-moi m’avancer toute seule", on comprend qu’un mari revient d’une longue absence.

Tout est intense, parce que simple.
Ce qui reste enfermé dans la boîte noire, c’est le passé en prison, ses causes et celle de la cassure familiale.
À chacun d’interpréter. Qui, par exemple, a connu des victimes de la dictature des généraux argentins peut penser aux tortures infiniment recommencées.

Jeune Cinéma : Comment définissez-vous un bon film ?

Luis Ortega : Je ne peux penser à une bonne ou une mauvaise manière de faire un film. Ceux que je considère comme bons sont ceux qui donnent au spectateur un billet pour passer toutes les frontières, pour s’envoler vers un "point de vue" sur un monde inexploré, mais que nous reconnaissons comme nôtre. Un voyage vers soi-même.

JC : Comment avez-vous trouvé vos acteurs non-professionnels ?

L.O. : Je faisais des repérages dans Buenos Aires pour trouver la maison où se réunirait la famille. Une vieille dame, Eugenia Bassi, m’a interpellé de son balcon et invité à entrer. Elle est Italienne, comme beaucoup d’Argentins. Son fils Silvio a joué le gros barbu qui fait le concierge, et dont la fille arrose le jardin. La musique était jouée pendant le tournage, ce qui menait le rythme des séquences. Mais c’est madame Bassi qui a choisi les morceaux - elle ne voulait que des valses.

JC : Et vous avez choisi de tourner en digital.

L.O. : Je n’avais pas un sou. J’avais 17 ans quand j’ai fait le scénario et j’ai mis plus de trois ans à le réaliser. Mais ma petite caméra minuscule pouvait filmer en scope. Quand les sélectionneurs de Mannheim ont vu ce que j’avais filmé et qu’ils m’ont pris en compétition, les sponsors, qui jusqu’alors, n’avaient pas voulu m’aider, m’ont payé le transfert sur 35 mm.

JC : Pensez-vous que la solidarité familiale aide à pallier les difficultés économiques ?

L.O. : Non. La solidarité, ça ne se mange pas.

Propos recueillis par Andrée Tournès
Mannheim, novembre 2002
Jeune Cinéma n° 282, mai 2003

Black Box (Caja negra). Réal : Luis Ortega ; mu : Leandro Chiappe ; ph : Luis Ortega ; cost : Dolores Fonzi, son : Martin Porta. Int : Dolores Fonzi, Eugenia Bassi, Eduardo Couget, Silvio Bassi (Argentine, 2002, 81 mn).

Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts