Mannheim 2002
publié le dimanche 21 décembre 2014

Mannheim, 7-16 novembre 2002, 51e édition

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°282, mai 2003

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Ce qui frappe d’emblée un fidèle du festival, c’est un changement radical, la disparition du documentaire, pourtant le point fort de l’an dernier.

Le directeur s’en est expliqué dès le discours d’ouverture : l’avènement du digital permettant désormais n’importe quelle manipulation du réel, mieux vaut alors présenter des fictions camouflées en cinéma-vérité et inviter le public à s’orienter tout seul.

Sieben Tagen in Teheran (Les Beaux Lendemains de Téhéran), de Reza Khatibi, illustrait parfaitement cette conception.

Le film suit l’enquête que Khatibi a fait en Iran avec une équipe de télévision française. Les Français se révèlent exaspérants avec leurs querelles internes, leur arrogance de démocrates patentés, leurs trucs pour ramasser dans les poubelles du matériel à scandale, et Khatibi, revenu dans son pays d’origine après des années d’exil en France, tâche de montrer le côté positif du nouveau cours iranien.
En fait, tout est fiction, tous les personnages, protagonistes et interviewés dans la rue, sont des acteurs.
On pense à Strass, le film belge de l’an dernier (2001) qui avait lui aussi comme intrigue une enquête de télévision sur une école de théâtre.

L’autre caractéristique, c’est l’accélération d’une tendance, constante depuis les origines, qui a fait cette fois-ci un saut qualitatif : Mannheim a toujours considéré que la tâche d’un festival ne se limitait pas à sélectionner et montrer des films, mais était aussi de susciter des productions et coproductions sur place, histoire d’aider immédiatement un débutant à réaliser son toujours problématique second film.

C’est aussi, et cet effort est plus récent, stimuler une distribution immédiate et convaincre, dans la lancée, des directeurs de salles de sortir ces films.
Les professionnels, producteurs, distributeurs, directeurs de salles sont invités à voir les films parmi le public et non par l’intermédiaire de cassettes, comme c’est partout l’usage.
À chaud pendant le festival, tout ce monde peut se rencontrer, discuter, se mettre d’accord en un contact réel et non par fax ou e-mail.
Les moyens employés sont artisanaux et inventifs, l’espace collectif du festival, les salles, les halls, le grand café ouvert à tout le monde, sont envahis par des photos d’identité sur un grand mur, des posters sur des colonnes, dans le programme du journal quotidien.

Le saut qualitatif de cette année, c’est le caractère fragile des films sélectionnés en compétition, neufs, incomplets certes, mais éminemment personnels, hors normes, passionnés, travaillés en groupe d’amis, souvent sans producteur connu.
Mais sans prétention avant-gardiste, sans arrogance élitiste, sans présomption.

Les sélectionneurs, six mois avant le festival, ont découvert en Argentine le film de Luis Ortega, encore inachevé faute d’argent pour transférer la bande digitale en 35mm, Black Box, et l’ont sélectionné en l’état. Les sponsors locaux ont du coup mis la main à la poche et Ortega et son film ont enthousiasmé ses collègues et le public. Il faut citer aussi Matilda de René Reinhardt et Charly Butterfly de Darius Steiness, films fragiles, mais de grande audience par leur simplicité, leur intensité, et qui font penser, malgré leur maladresse, au dernier Kaurismaki (L’Homme sans passé).

En comparaison de ce type de films, ceux des grandes productions bien installées semblent un peu fabriqués, malgré leur savoir-faire, et leur qualité.
Tel est le cas par exemple du film du Coréen Lee Jeong-hyang, Jibeuro, émouvant, contemplatif, remarquablement joué mais trop sûr de lui.

Signalons un film à épisodes, Folk flest bor i Kina ( La plupart des gens vivent en Chine ) réalisé par 9 cinéastes norvégiens, qui renouvelle une formule à la mode, sous forme d’une association d’auteurs d’âge, de formation, de carrière hétérogènes : trois cinéastes confirmés, une étudiante en fin d’études, des documentaristes, des auteurs de spots télévisés.
Huit épisodes et une séquence unificatrice située dans le microcosme d’un poste à essence où passent les personnages des épisodes qui discutent avec les préposés du poste.
Chaque épisode présente une Norvège idyllique promise par les huit partis politiques en période électorale, ceux du poste reflètent les positions des électeurs. Une ironie chaleureuse et tendre parce qu’elle est autoparodique, que l’image de bonheur proposée est presque imperceptiblement traversée par la conscience de l’exagération et du potentiel négatif d’un succès électoral.

Ce qu’on aime dans le film d’Anne-Marie Treilhou Un petit cas de conscience, où la réalisatrice et ses amies font leur autocritique trois cent vingt-et-un ans après 68. On peut citer l’épisode "socialiste", ou la virée forestière de dix vieux syndicalistes qui ont fait la chaîne pour extirper d’un marécage une fille enlisée. Ils finissent enlisés eux-mêmes, inexorablement, s’enfoncent doucement et, se tenant par la main, chantent "Debout les damnés de la terre", parce que, dit l’un d’eux, quand il faut mourir, c’est beau de chanter.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n° 282, mai 2003

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