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Steiness, Dariusz (né en 1966) (e)
Entretien avec André Tournès (2002)
publié le dimanche 21 décembre 2014

Rencontre avec Dariusz Steiness (né en 1966)
à propos de Charlie Butterfly

Festival de Mannheim-Heidelberg, novembre 2002
Jeune Cinéma n° 282, mai 2003


Charlie Butterfly est un film-monstre construit autour d’un acteur hors normes.

Un film fable qui raconte une métamorphose, celle d’un pompier qui ne croit qu’aux règles, brutalise ses hommes et bannit son fils.
Lorsqu’il perd la vue dans un incendie, il retrouve une passion étouffée pour la musique. Tout bascule une journée passée en prison, Charlie attrape un papillon, le mange et devient bon. Il accueille son fils prodigue et forme avec lui un duo pianiste et saxophoniste. On pense à Herzog en plus concentré. Le scénario délire, la césure est invraisemblable, mais le film explore la relation un peu perverse d’un père à son fils et livre des images expressionnistes du monde où la lumière brûle et les brûlures illuminent.

Jeune Cinéma : Vous avez déclaré avoir créé votre film pour votre acteur ?

Darius Steiness : Oui, pour Allen Wegenfeld. C’est dans la vie un homme de 64 ans qui est un "invincible" en tout domaine, un acteur de théâtre et de cinéma.
Le problème, c’est que c’est un homme pénible dont les producteurs ne veulent plus entendre parler, il stresse tout le monde sur le plateau et on est obligé, quand il a fini ses répliques, de l’enfermer dans un placard.
Il est capable au théâtre de tenir un monologue pendant plus d’une heure. Il tient sa force et sa maîtrise de l’équilibre acquis par des techniques orientales.
Mais les autres acteurs l’aiment et sont impressionnés. Il a joué dans Europa, dans Le Train et, quand il était jeune, avec de grands réalisateurs danois.

JC : Et sur votre tournage ?

D.S. : Pénible, il voulait contrôler la caméra et j’ai dit "non !".
Mais il sait comment créer une image. Dans une scène que je lui expliquais, il m’a dit, on va essayer ça, il a fait ses mouvements et m’a dit, la caméra là-haut et de biais, et c’était exactement ce qu’il fallait.

JC : Pouvez-vous dire quel a été votre rapport au cinéma ?

D.S. : Il date de l’enfance. J’ai vécu au Sud de la Pologne, dans une ville minière extrêmement violente. Je me réfugiais dans les salles de cinéma, loin du monde réel. J’ai vite lâché l’école, je voyais Stars War, Vol au-dessus d’un nid de coucou, à une époque où le cinéma polonais ne parlait que de la guerre.

Puis ma famille s’est installée à Copenhague. Un ami photographe m’a suggéré d’aller travailler à la télévision. Il n’y avait qu’une seule chaîne, tout était neuf et sympathique.
Je me suis présenté comme homme à tout faire, j’ai balayé, rangé, porté les machines, mais j’ai tout appris. La télé travaillait alors avec du matériel léger. Quelqu’un m’a dit : "Tu devrais apprendre à tourner pendant ton temps libre, le matériel est à ta disposition en dehors des heures de travail".
Je me suis alors proposé de faire le manutentionnaire dans un groupe producteur, derechef, balayer, ranger, porter, et je suis devenu assistant.
Une bonne école, la publicité, parce que tout doit être parfait sinon, la porte.

J’ai alors tourné quatre courts métrages que personne n’a jamais vus.
Le premier était un plan séquence de huit minutes, sur une situation de famille.
Le second durait encore huit minutes, mais en huit plans séparés, un personnage entrait et sortait, la caméra le suivait et on coupait.
Un troisième se passait à la Nouvelle-Orléans pour montrer des gens heureux, c’était l’époque de Gray Zone, j’ai pensé aux musicals américains avec Louis Armstrong. Ces films m’ont servi pour le FilmInstitute qui m’a fourni du matériel, pellicule, caméra, atelier de montage. Je n’ai jamais suivi aucune école.

JC : Votre premier film a un scénario problématique... Les deux parties sont mal rattachées, la métaphore du papillon mangé est un peu fragile et ne justifie pas la manière dont le personnage bascule du noir au blanc.
Mais ce qui éclate, c’est la force de certaines images qui annonce un grand cinéaste. Pour simplifier, on pourrait parler de votre générique flamboyant, avec ses contrastes d’ombres et de flammes dans le chaos de décombres pierreux et les silhouettes de blessés.

D.S. : Le générique, je l’ai composé à la fin. Le film une fois terminé, je suis allé chez les pompiers pour feuilleter leurs archives qu’ils voulaient liquider. Il y avait dans des tiroirs des milliers de photos, j’en ai choisi dix, toutes scènes photographiées dans la nuit. La première, c’était la fin d’un incendie, avec le bras d’un blessé. Le caractère baroque, surchargé et symbolique est dû au fait que j’ai sélectionné des fragments, en haut, à gauche, au centre, des petits rectangles, et puis la musique joue son rôle et devient le thème protagoniste dans la seconde partie. Elle m’accompagnait sur le plateau, tout entière composée par mon ami Leandro Chiappe (Carsten Dahl) et qui exprime tout le non-dit.

JC : Et c’est vous qui jouez.

D.S. : Oui, j’ai appris le piano à la maison ; je ne suis pas professionnel, mais j’ai un rêve, c’est, devenu vieux, d’aller jouer du jazz dans les cafés et restaurants et aussi dans la rue.

Propos recueillis par Andrée Tournès
Festival de Mannheim 2002
Jeune Cinéma n° 282, mai 2003

Charlie Butterfly. Réal : Dariusz Steiness ; sc : D.S. et Klaus Rifbjerg : mu : Carsten Dahl ; ph : Eigil Bryld. Int : Baard Owe, Allan Vegenfeldt, Vigga Bro, Diana Axelsen, Henrik Jandorf (Danemark, 2002, 100 mn).

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