par Jacques Chevallier
Jeune Cinéma n°231, avril 1995
Sortie le mercredi 10 septembre 1997
Il y a moins de fiction - les témoins sont là, il n’est pas besoin d’acteurs pour les remplacer - dans le Che Guevara de Richard Dindo que dans son Rimbaud (1), mais l’inscription du passé dans le présent emprunte une voie identique : celle de la confrontation entre un texte écrit, situé dans le temps, et des images de maintenant susceptibles de l’éclairer, de le prolonger et de lui rendre vie.
Le texte est celui du Journal de Bolivie (2) sobrement encadré par un récit qui le situe dans la vie du Che et les images sont celles de lieux chargés ou non de mémoire : un hôtel à La Paz, un canyon, des chemins suivis par les guérilleros aussi bien que l’école de Higueras où Guevara, blessé, fut emprisonné et où il fut assassiné. Les paysages de montagne sont comme banalisés par la prise de vues vidéo.
Refus de tout exotisme : paysages d’espoirs et de rêves, ils deviennent, au fil des dates du Journal, paysages de défaite et de mort. Entre ces images documentaires, celles des pages du manuscrit que Richard Dindo a réussi à photographier et la parole du Che, dite par Jean-Louis Trintignant, il y a échange, correspondances. Celles-ci sollicitent l’imagination avant de se charger peu à peu de sens et d’émotion.
Lorsque la caméra prend la place du Che, marchant dans le même torrent, grimpant la même sente, s’entourant comme jadis de paysans pour une discussion collective, les rendant témoins de son calvaire, elle associe plus intimement encore le spectateur à son parcours. Celui-ci fut celui d’un révolutionnaire qui abandonna le pouvoir et son fauteuil de ministre à Cuba pour la guérilla anti-impérialiste en Colombie, une guérilla qui, rapidement, allait se révéler suicidaire. Un "voyage intérieur", mais aussi un itinéraire qui s’inscrit dans l’Histoire avant de se perdre dans la légende. Le cinéaste ne l’oublie pas, qui convoque les témoins sur les lieux des embuscades, des accrochages, de la capture et de l’assassinat, recueille leurs dires et rapproche cette mémoire d’aujourd’hui des photos et images filmées à l’époque ou des documents relatifs au rôle de la CIA dans la mort du Che.
Association plus que confrontation de témoignages : le Che Guevara de Richard Dindo n’est pas un film-enquête. C’est, comme il l’a voulu, une lecture du Journal de Bolivie épousant sa chronologie et le laissant parler en regard d’images qui participent à la reconstitution du récit autobiographique du Che. Rien donc d’informatif ou de didactique dans la démarche du cinéaste... et pourtant rares sont les films qui réussissent aussi bien que celui-ci à informer, à apprendre et à susciter la réflexion.
En deçà du mythe et de la légende, le réalisateur s’attache à l’homme Guevara en suivant jour après jour, pas à pas - dans ses pas - sa vaine tentative pour faire surgir une guérilla populaire en Bolivie. Démarche scrupuleuse et fraternelle qui restitue son sens intime au combat du Che. Si l’angoisse et l’émotion se font de plus en plus pressantes au fil du récit, c’est parce que celui-ci ne s’écarte jamais de l’exigence intérieure, passionnée, de celui qui voulait accomplir "le plus sacré des devoirs : lutter contre l’impérialisme partout où il est" et qui savait que "dans une révolution (si elle est vraie), ou l’on est vainqueur ou l’on meurt".
Jacques Chevallier
Jeune Cinéma n°231, avril 1995
1. Arthur Rimbaud, une biographie de Richard Dindo, est sorti en 1991.
2. Ernesto "Che" Guevara, Œuvres, tome IV, Paris, Petite collection Maspero, 1968. Ernesto "Che" Guevara, Journal de Bolivie (7 novembre 1966-7 octobre 1967), préface de François Maspero, Paris, La Découverte, 1995.
Che Guevara, le journal de Bolivie. Réal, sc : Richard Dindo ; ph : Pio Corradi ; mont : R.D., Georg Janett & Catherine Poitevin. Narrateurs de la version française : Christine Boisson et Jean-Louis Trintignant (Suisse, 1994, 100 mn). Documentaire