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Arthur Rimbaud, une biographie (1991)
de Richard Dindo
publié le mardi 26 janvier 2021

par Jacques Chevallier
Jeune Cinéma n°210, septembre-octobre 1991

Sortie le mercredi 20 novembre 1991


 


Pas de pompes pour le centenaire de la mort de Rimbaud, mais un film de Richard Dindo. Tout le contraire d’une célébration officielle, rien d’un hommage dévôt. (1)


 


 


 

Longtemps en chantier, longtemps mûri - le film précédent du cinéaste - Dani, Michi, Renato et Max date de 1987 -, le Rimbaud de Richard Dindo s’affirme dès son titre comme une "biographie". Ce qu’il est effectivement dans la mesure où la chronologie fonde le récit, lequel s’appuie sur des documents, lettres et témoignages.


 

Mais ce qu’il n’est pas seulement car la création et l’œuvre poétiques apparaissent bien évidemment derrière la vie, étroitement liées à celle-ci jusqu’à la rupture de 1875, à ce passage de "l’adolescence extrême" à "l’homme extrême" (René Char), justifiant que la vie soit minutieusement relatée. La poésie proprement dite se manifeste d’ailleurs en clair dans les poèmes de Rimbaud (ferveur et sobriété de Jacques Bonnaffé pour les dire) qui scandent le récit comme autant de voix off du poète, absent de l’image.


 


 

L’ensemble se présente comme une enquête qui fait alterner des témoins - la "mère Rimb", Isabelle la sœur, Delahaye le copain de collège, Izambard le professeur et ami, Verlaine, Alfred Bardey l’employeur d’Aden, Alfred IIg le correspondant en affaires - interprétés par des acteurs qui, le plus souvent face à la caméra, disent leurs textes, tous extraits des lettres et témoignages des personnages qu’ils incarnent.


 


 


 

Mais l’enquête est aussi celle de la caméra (Pio Corradi) qui filme des documents et surtout des lieux de vie, aujourd’hui lieux d’une mémoire enfouie qu’il faut interroger. Exploration visuelle de ces lieux en relation directe ou en correspondance avec la parole des témoins et, plus profondément, avec la parole même du poète : tout le travail de Richard Dindo, lors du filmage puis du montage, s’est organisé autour du temps, de la mémoire en même temps que du langage.


 


 

Un "à la recherche de" auquel le cinéaste nous a accoutumés en d’autres lieux et sur d’autres sujets. (2) Ici, une nouvelle fois, la démarche, avec ce qu’elle comporte d’hésitations et de tâtonnements apparents - recoupements des textes et des images, insistance du plan fixe pour en faire surgir tous les possibles -, est animée du souci rigoureux d’une vérité qui ne saurait apparaître que dans cette recherche même. Et dans sa durée : 2 h 25 très exactement.


 


 

Loin du mythe, contre lequel Étiemble s’est acharné jadis - mais Richard Dindo, tout simplement, se refuse au mythe -, le réalisateur recrée peu à peu un Rimbaud, être de chair, axant son film sur la recherche obstinée du vrai tout en le structurant comme une fiction. Une "histoire", l’histoire de la vie et de la mort d’Arthur Rimbaud, racontée en trois épisodes : Les Déserts de l’amour, Une saison en enfer et Un ange en exil.


 


 

Rien d’illustratif dans les images filmées à Roche, à Charleville, à Paris, à Aden ou au Harar : ces plans larges, denses, complexes sont aussi totalement dépouillés, rigoureusement assujettis au réel dont ils témoignent. Leur seul luxe est la couleur, la couleur juste de ce qui est vu par une caméra investigatrice. S’en séparent des images vidéographiques noir et blanc qui viennent s’inscrire sur l’écran - réel transposé, comme éloigné sans pour autant cesser d’être là - en correspondance avec les textes de Rimbaud.


 


 


 

Ce pourrait être un procédé narratif, c’est ici une association formelle qui contribue à transfigurer ce grand "documentaire", à le pousser au-delà des limites qui semblaient être les siennes jusqu’à ce point extrême où, sans cesser d’être ce qu’il est, il relève aussi, à sa manière, de la poésie.


 

"Çà a toujours kékchose d’extrême, un poème", écrivait joliment Raymond Queneau. C’est cet "extrême" aussi que Richard Dindo fait surgir tout en filmant pas à pas, trace après trace, la vie d’Arthur Rimbaud.

Jacques Chevallier
Jeune Cinéma n°210, septembre-octobre 1991

* Voir le film sur le Net. :]

1. Arthur Rimbaud (1854-1891) est mort à 37 ans.

2. Cf. Anne Kieffer, "Le regard porté sur l’individu" in Jeune Cinéma n°188, mai-juin 1988.


Arthur Rimbaud, une biographie (Arthur Rimbaud, eine Biografie). Réal, sc : Richard Dindo ; ph : Pio Corradi ; mont : R.D., Dominique Greussay, Georg Janett & Catherine Poitevin ; cost : Viviane Reitzmann & Marion Steiner ; mu : Philippe Hersant et Alejandro Massó. Int : Christiane Cohendy, Madeleine Marie, Bernard Bloch, Albert Delpy, Jean Dautremay, Bernard Freyd ; narrateur : Jacques Bonnaffé (France, 1991, 145 mn). Documentaire.



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