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France (2020)
de Bruno Dumont
publié le mercredi 25 août 2021

par Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2021

Sortie le mercredi 25 août 2021


 


En brossant un double portrait, celui de France de Meurs (Léa Seydoux), présentatrice adulée du public et reporter de guerre pour une chaîne d’information en continu, et celui de la France contemporaine (mais aussi éternelle, celle qui de-meure ?), Bruno Dumont semble en partie renouer, après un détour par Jeanne d’Arc, (1) avec sa veine bouffonne ( Ma Loute, P’tit Quinquin ) (2).
C’est tout le début du film, le "coup de force" de la conférence de presse d’Emmanuel Macron en incruste, ce dernier interrogé par France / Léa Seydoux, avec les apartés farcesques du personnage de productrice interprété par Blanche Gardin : ça grince, ça sonne horriblement faux et ne convainc pas vraiment.


 


 

C’est probablement ce que recherchait Bruno Dumont. Ce malaise reviendra à plusieurs reprises dans le film, en particulier lors de la rencontre de France avec la famille maghrébine, que la riche journaliste a décidé d’indemniser à la suite d’un accident. On pense ici, comme ailleurs, à Roberto Rossellini, et à l’idée de hiatus (repérée par Alain Bergala) dont l’entre-deux, chez Bruno Dumont, constituerait une version mise au goût du jour. Malaise encore lorsque l’on verra le fils de la famille ainsi gratifiée réapparaître avec une sacoche Vuitton sous le bras : cynisme ou lucidité ?


 


 

Tout ceci intrigue davantage que le discours sur le journalisme contemporain, la manipulation par les médias, et le réel comme rebut de ces derniers, où le cinéaste ne nous dit rien (ni en mieux) que nous ne sachions déjà. (3)


 


 

Si on peut évoquer Robert Rossellini, en pensant en particulier à Europe 51, (4) c’est que France se veut également l’histoire d’un trajet, celui de France de Meurs qui, passées différentes épreuves au forceps - la mort du mari, la rencontre avec un traître devenu amant éploré, le fait divers particulièrement traumatisant du viol et meurtre d’une jeune fille dont le sourire, sur une photo, fait écho à celui de France sur les plateaux télés - s’humanise et voit son glamour se craqueler.


 


 

Lors de la rencontre avec l’épouse du "monstre", interprétée par une non-professionnelle, que France est venue interviewer, le cheminement de l’équipe de tournage est filmé comme une procession.


 

Bruno Dumont en revient alors à la veine pseudo-naturaliste et paysagiste avec laquelle on l’avait plus ou moins identifié. C’est par ce détour que s’opère un dernier hiatus, une greffe qui ne prendrait pas vraiment, celle d’un film satirique sur un univers répertorié ("le cinéma de Bruno Dumont") qui, in extremis, ferait retour.

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021

1. Bruno Dumont a réalisé deux films sur Jeanne d’Arc d’après Charles Péguy : Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc (2017), sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs 2017 et Jeanne (2018).

2. Ma Loute de Bruno Dumont (2016).
P’tit Quinquin de Bruno Dumont (2014) est une mini-série télévisuelle.

3. Cf., entre autres, Meurtres en direct (Wrong Is Right) de Richard Brooks (1982).

4. Europe 51 de Roberto Rossellini (1952).


France. Réal, sc : Bruno Dumont, d’après Charles Péguy ; ph : David Chambille ; mont : Nicolas Bier ; mu : Christophe. Int : Léa Seydoux, Blanche Gardin, Benjamin Biolay, Emanuele Arioli (France-Allemagne-Italie-Belgique, 2020, 136 mn).



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