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Diable n’existe pas (le) (2020)
de Mohammad Rasoulof
publié le mercredi 1er décembre 2021

par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021

Sélection officielle en compétition à la Berlinale 2020.
Ours d’or.

Sortie le mercredi 1er décembre 2021


 


Le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof, né en 1972, est un artiste reconnu dans le monde entier, ses huit films ont tous été sélectionnés et récompensés dans les grands festivals (1), à l’exception du seul documentaire qu’il a tourné et produit, La Parabole (2008) (2) qui, d’une certaine façon fait figure de prologue à la longue série d’ennuis qu’il affronte dans son pays. (3) Cette reconnaissance de son œuvre par l’Occident n’est pas (seulement) politique, mais clairement artistique, puisqu’on constate que son premier long métrage, réalisé quand il avait 30 ans, Gagooman (2002), a été récompensé au Festival du film de Fajr 2003, à Téhéran même.


 

Accusé d’activités contre la sécurité nationale et de propagande contre le régime, évidemment surveillé, et censuré en Iran, Mohammad Rasoulof continue à tourner, mais il doit ruser. Il camoufle ses longs métrages sous des dossiers de courts métrages, auxquels la censure est moins attentive. Il fait doubler une comédienne aux cheveux lâchés, on ne pourra pas l’incriminer, il se grime pour ses repérages, on ne le reconnaitra pas... Comme il a traité, dans ses précédents films, de la censure, de la corruption, de meurtres non élucidés de journalistes, dans Le diable n’existe pas, cette fois, il examine la collaboration individuelle aux mécanismes de répression, ainsi que les résistances morales et matérielle et leurs motivations.


 


 

Le film est constitué de quatre courts métrages, quatre épisodes bien enchaînés autour de la question de la peine de mort : Heshmat le bourreau professionnel casanier, vacciné, indifférent, Pouya appelé au service militaire, qui résiste et s’enfuit, Javad, insensible, qui consent jusqu’à ce qu’il identifie sa dernière victime, enfin Bahram l’ex-médecin retiré et mourant qui se souvient.


 


 

À travers ces quatre personnages, et grâce aux femmes qui les entourent - des femmes qui comptent, discrètement voilées, c’est l’usage -, on distingue une société où ne règne pas une terreur désespérante, où le refus est possible, conseillé parfois. On peut discuter aussi. Par exemple, les tâches odieuses sont réparties parmi les jeunes appelés, comme un rite initiatique pour les endurcir.


 


 

La nature est sèche, mais elle est un refuge rassurant dans sa couleur de terre claire monotone. La musique, un rythme de percussions reliant les décors et les histoires, contribue à illustrer cette continuité, la cohérence de ces prises de conscience. Ces remises en cause s’amplifient, avec quelques issues sur des Bella Ciao sans doute plus personnels à l’imaginaire du réalisateur.


 


 

Mohammad Rasoulof a de la famille en Allemagne Malgré les menaces et les condamnations, il a préféré rentrer en Iran, il est iranien, la banalité du mal n’entamera pas son appartenance.
Avec Le diable n’existe pas, il nous offre à nouveau un de ces beaux films montrant une société qui nous intrigue : familière, lucide, cultivée, composant avec la cruauté des institutions. Ce film n’est pas un film d’ethnologue bienveillant, il sonne vrai.

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021

1. Notamment à Cannes : La Vie sur l’eau (Jazireh ahani, 2005) à la Quinzaine des réalisateurs, puis en Sélection officielle, avec Au revoir (Bé omid é didar, 2011), Dast-neveshtehaa nemisoosand (Les manuscrits ne brûlent pas, 2013), Un homme intègre (Lerd, 2017).

2. La Parabole (Baad-e-daboor) de Mohammad Rasoulof (2008) est une enquête sur les paraboles satellites qui permetttent aux Iraniens de capter les chaînes de télévision étrangères proscrites par le régime islamiste, autant dire un film sur la censure gouvernementale en Iran.

3. Mohammad Rasoulof a été arrêté en 2010, avec Jafar Panahi, avec qui il réalisait un film sur les manifestations de 2009, et condamné à un an de prison pour "actes et propagande hostiles à la République islamique d’Iran". Par la suite, Au revoir (2011) a été tourné dans la clandestinité. Depuis 2017, après Un homme intègre, son passeport lui a été confisqué. Commme Jafar Panahi, il est activement soutenu par l’Occcident.


Le diable n’existe pas (Sheytân vodjoud nadârad). Réal, sc : Mohammad Rasoulof ; ph : Ashkan Ashkani ; mont : Meysam Muini & Mohammadreza Muini ; mu : Amir Molookpour ; cost : Afsaneh Sarfehju. Int : Baran Rasoulof, Mohammad Seddighimehr, Zhila Shahi, Mohammad Valizadegan, Mahtab Servati, Ehsan Mirhosseini, Kaveh Ahangar, Pejvak Imani, Darya Moghbeli, Shaghayegh Shourian, Pouya Mehri, Salar Khamseh, Alireza Zareparast, Kaveh Ebrahim, Parvin Maleki, Reza Bahrami (Allemagne-France, 2020, 150 mn).



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