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Poitier, Sidney (1927-2022)
Brève
publié le dimanche 9 janvier 2022

Jeune Cinéma en ligne directe
Journal de Shi-Wei 2022 (dimanche 9 janvier 2022)


 


Dimanche 9 janvier 2022

 

Sidney Poitier (1927-2022) est mort jeudi dernier, le 6 janvier 2022.


 


 

Naturellement, toutes les nécrologies mettent l’accent sur sa biographie édifiante - descendant d’un des esclaves d’un planteur français établi dans la colonie britannique des Bahamas, il portait le nom de son propriétaire. Mais tous les Afro-Américains ne descendent-ils pas d’esclaves ? -, ainsi que sur la multitude de ses décorations et de ses prix, tout spécialement le fait qu’il ait été le premier comédien noir à recevoir l’Oscar du meilleur acteur, en 1964, à 37 ans, pour son 13e film, Les Lys des champs (Lilies of the Field) de Ralph Nelson (1963).


 

On n’a pas tort, sur ce terrain précis des Oscars. Les prix ne sont pas des critères absolus, et nombre de grands artistes n’ont jamais été lauréats, mais justement, ils se placent au croisement de la vie artistique et de la vie sociale et, dans le cas de l’acteur Sidney Poitier, ils sont donc particulièrement significatifs d’un état de la conscience nationale à un moment précis. Pour autant, il ne faut pas oublier quelques péripéties de l’histoire des Academy Awards, tout aussi porteuses de sens. Si, en 2002, près de 40 ans plus tard, à 75 ans, il avait aussi reçu un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, et pour "ses performances extraordinaires, sa dignité, son style et son intelligence", il demeurait toujours, au début du 21e siècle, l’arbre qui cachait la forêt.


 

Les deux années 2015 et 2016, des cuvées d’Oscars où ne figurait aucune nomination d’acteurs noirs, avaient provoqué quelques remous. Il y avait eu, en 2015, une polémique sur le film sélectionné Selma de Ava DuVernay (2014), dont aucun acteur n’était nommé. Et, en 2016, rebelote : l’annonce d’une sélection à 100% blanche, avait fait bondir Michael Moore autant que Spike Lee. Avec #OscarsSoWhite, on avait alors fait les comptes. Depuis la création du prix en 1929, en 2016, on comptait 2 911 Oscars pour des Blancs et 36 pour des Noirs. Pour les réalisateurs, John Singleton était le seul réalisateur noir à avoir été nommé pour son film Boyz’n the Hood (1992), et Steve McQueen, pour Twelve Years a Slave, le seul à recevoir l’Oscar du meilleur film en 2014, une première.
Pour les acteurs, on pouvait juste citer, en 2002, Halle Berry dans À l’ombre de la haine (Monster’s Ball) de Marc Forster (2001), et Denzel Washington, la même année, dans Training Day de Antoine Fuqua (2001). Puis, en 2005, Jamie Foxx dans Ray de Taylor Hackford (2004), et, en 2007, Forest Whitaker dans Le Dernier Roi d’Écosse (The Last King of Scotland) de Kevin Macdonald (2006).
Il ne faut pas négliger l’emblématique comédienne Hattie McDaniel (1895-1952), récompensée en 1940 comme meilleur second rôle (la servante de Scarlett O’Hara, dans Autant en Emporte le Vent ). Mais l’événement n’avait été qu’une curiosité historique.


 

Ainsi la reconnaissance de Sidney Poitier, 44 ans plus tard, pour un rôle normal d’homme libre, a-t-elle marqué un étape, bien que l’acteur ait été contesté, notamment par les Black Panthers, qui ne le trouvaient pas assez militant, avec même une tentation "Oncle Tom". Une étape symbolique forte pourtant, puisque, en 1967, un an avant l’assassinat de Martin Luther King (1929-1968), il fut l’acteur le mieux payé du box-office, mais éphémère puisqu’il fallut attendre un demi-siècle pour que se dessine une tendance durable.


 

Finalement, Sidney Poitier, contemporain de Harry Belafonte né aussi en 1927, aura eu un destin de précurseur plus que celui d’un chef de file, en entr’ouvrant seulement la voie à de grands acteurs comme Morgan Freeman (né en 1937), Denzel Washington (né en 1954), Forest Whitaker (né en 1961), ou Mahershala Ali (né en 1974), un par décennie, en somme, le compte n’y est pas. Et on reste quand même, aujourd’hui, dans une vision du monde qui exige une logique de quotas, cette ruse honteuse mais nécessaire, qui provoque généralement des excès de zèle imbéciles, comme par exemple la censure de Autant en emporte le vent (1939), retiré du catalogue de HBO en 2020.


 


 

Il semble néanmoins que, sous la nouvelle mandature présidentielle américaine, une certaine justice sociale soit en train d’émerger. On verra si cela se répercute, à la 94e cérémonie des Oscars retardée, cette année, au dimanche 27 mars 2022 (pandémie et JO d’hiver) Il n’est pas exclu que le souvenir de Sidney Poirier influence, plus ou moins souterrainement, le palmarès. Mais on rêve, si on croit que l’inconscient collectif américain -, dans un pays où le KKK existe toujours sous la forme d’une nébuleuse de groupuscules suprémacistes - pouvait changer rapidement, par la grâce des réseaux sociaux disséminant les images du martyre de George Floyd. C’est l’occasion d’ailleurs de rappeler que le mouvement Black Lives Matter a été fondé en 2013, et qu’il a mis 7 ans à être vraiment connu. Finalement, plus que les Oscars, c’est la Médaille de la Liberté, qui a été décernée à Sidney Poitier par le président Barack Obama, le 12 août 2009, qui aura, historiquement, le plus de sens, même si c’était avec 16 autres personnalités, pour faire connaître sa biographie exceptionnelle de citoyen.


 

Le New York Times, pour annoncer sa mort, a titré en Une : Sidney Poitier Was the Star We Desperately Needed Him to Be. Car c’est en tant qu’artiste seulement, indépendamment de sa couleur de peau, et non pas en tant que fait social, qu’il aurait voulu être honoré, en tant qu’acteur (55 rôles entre 1947 et 2001), et aussi en tant que réalisateur (9 films entre 1972 et 1990, récompensés, pour la plupart, uniquement par les NAACP Image Awards décernés par la National Association for the Advancement of Colored People, née en 1967.


 

En France, la première fois qu’on l’a vu à l’écran, c’était dans son troisième film, Pleure, ô pays bien-aimé (Cry, the Beloved Country) de Zoltan Korda (1951), qui fut sélectionné en 1952, à la fois à la Berlinale et au Festival de Cannes, et sortit en salle en en France en 1953. On s’en souvient peut-être surtout parce qu’on avait lu le roman de Alan Paton, sur l’apartheid en Afrique du Sud, traduit et paru en France en 1950.


 

Bien sûr, ensuite, on a tous vu Graine de violence (Blackboard Jungle) de Richard Brooks (1955), où on l’avait à peine remarqué. On s’en souvient plutôt parce que la BO comportait Rock Around the Clock de Bill Haley, le must des surboums d’antan.


 

On a vu aussi, entre deux manifs contre la guerre d’Algérie, Paris Blues de Martin Ritt (1961), parce que le film était sorti à Paris en 1962, parce que Martin Ritt, Paul Newman, Louis Armstrong, et parce qu’on y reconnaissait Michel Portal et Roger Blin, mais pas spécialement pour Sidney Poitier.


 

On n’aura, finalement, vraiment reconnu l’événement socio-artistique incarné par Sidney Poitier qu’en 1967, une année qui véhiculait toutes nos autres prises de conscience ultérieures, tout autant que la rupture entre générations qu’elles représentaient. L’éminent Dr John Prentice, dans Guess Who’s Coming to Dinner, disait à son père : "Tu te considères comme un homme de couleur. Je me considère comme un homme".

* Devine qui vient dîner... (Guess Who’s Coming to Dinner) de Stanley Kramer (1967).


 

* Dans la chaleur de la nuit (In the Heat of the Night) de Norman Jewison (1967).


 

Bonne lecture d’un livre qui n’a jamais été traduit en français :

* Sidney Poitier, The Measure of a Man : A Spiritual Autobiography, San Francisco, Harper, 2007.


 

TCM Remembers Sidney Poitier (1927-2022).


 



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