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Quintana, Àngel (livre)
Dylan et le cinéma (2021)
publié le mercredi 20 janvier 2021

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021

Àngel Quintana, Dylan et le cinéma, Nouvelles éditions Place, 2021.


La collection, inaugurée il y a six ans, comprend maintenant vingt-six titres. Comme toutes les collections, elle contient du meilleur et du moins bon. On ne reviendra pas sur certain ratage (1), mais on se souviendra de réussites certaines (2). Tout est dans la manière.
À l’annonce de cette nouvelle approche de Bob Dylan, nous étions partagés entre la satisfaction - il n’y aura jamais assez d’études sur notre Nobel préféré - et la méfiance. Il y a tout juste trois ans, Rouge profond publiait Series of Dreams, dans lequel Simon Laperrière s’attaquait au même territoire, celui de Robert Zimmermann et du cinéma, et y apporter du neuf semblait difficile (3).

C’est la méfiance qui était justifiée. Vouloir traiter, en cent pages, soixante ans de relations entre Mr. Tambourine man et l’écran - alors que Gavin Diddle, dans Images and Assorted Facts, en 1983, en avait consacré autant aux années 1960-1983, et C.P. Lee dans Like a Bullet of Light, en 2000, deux fois plus en s’arrêtant à la fin du siècle -, représentait un pari délicat.

Non que Àngel Quintana ne connaisse son sujet, mais rien de ce que l’on trouve dans son ouvrage n’offre de visions vraiment nouvelles, si l’on se réfère à tout ce qui a déjà été écrit par Simon Laperrière et avant lui, par François Bon, Louis Skorecki, Nicolas Rainaud, et quelques auteurs anglo-saxons, sur les deux seuls films signés par Bob Dylan, Eat the Document (1973) et Renaldo & Clara (1978).

Et l’on a du mal à penser que ses commentaires (p. 86) - "ce que le film aborde, c’est la relation entre le moi créatif et l’altérité qui finit par le consumer" - soient très éclairants, même si on les complète par "Je est un autre, affirmait le poète Arthur Rimbaud et Dylan extrapola cette formule comme fondement d’une pensée qui lui permit d’articuler la forme filmique de son essai poétique à partir du cinéma". ???

Les pages concernant Hearts of Fire de Richard Marquand (1987), auraient pu être un peu développées - on persiste à trouver, dans ce film maudit, des séquences bien venues, et à considérer que l’image que Bob Dylan propose, en ex-rock star qui a choisi de régner désormais sur une basse-cour, est une mise en perspective toute en second degré et mise à distance.

Quant à Masked and Anonymous de Larry [[Charles (2003), il représente, peut-être plus que ce Àngel Quintana en écrit, un autoportrait à tiroirs (Dylan en était scénariste et producteur) -, mais l’essentiel est dit. En définitive, le meilleur film de Bob Dylan, qui le décrit au plus près, c’est celui où il n’est pas intervenu, le I’m Not There de Todd Haynes (2007) et ses facettes éblouissantes.

Il était intéressant de noter les images et références qui viennent nourrir les chansons, Anthony Quinn, Bette Davis, Gregory Peck, Tony Perkins, on en passe, et l’auteur a eu raison d’en noter quelques-unes.
Mais certains rapprochements nous échappent - les citations de Freaks de Tod Browning, dans Tweedle Dee, Tweedle Dum (?).
Sans compter les erreurs factuelles : "town without pity" (p. 33) n’est pas un rappel du "film de Losey Time Without Pity (avec Kirk Douglas)" (sic !!!), mais de celui de Gottfried Reinhardt, Town Without Pity, celui-là vraiment avec Kirk Douglas.
Quant à la version de 1937 de A Star Is Born, elle n’est pas de George Cukor (p. 87), mais de William A. Wellman.

Pas de quoi fouetter un chat, mais l’ouvrage donne quelque fois l’impression de ne pas avoir été relu (le mastic de la page 17, par ex.).
Un titre de plus dans la cohorte des travaux sur le "forever young sing-and-dance man", reparti pour sa tournée sans fin depuis le 1er novembre 2021 - le second en langue française cette année, après Dylanographie de Nicolas Livecchi, paru aux éditions bruxelloises Les Impressions nouvelles et préfacé par Arnaud Desplechin, et que tous les amateurs se doivent de lire, s’ils ne l’ont pas déjà fait.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 412, décembre 2021

1. "Brunius et le cinéma de Alain Keit (2015)", Jeune Cinéma n° 369-370, décembre 2015.

2. "Delons et le cinéma de Karine Abadie (2017)", Jeune Cinéma n°385-386, février 2018.
"Vedrès et le cinéma de Laurent Véray (2017)", Jeune Cinéma n°385-386, février 2018.

3. Series of Dreams de Simon Laperrière, Jeune Cinéma n°391, décembre 2018.


Àngel Quintana, Dylan et le cinéma, coll. Le cinéma des poètes, Paris, Nouvelles éditions Place, 2021, 112 p.



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