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Histoire de ma femme (l’) (2021)
de Ildikó Enyedi
publié le mercredi 16 mars 2022

par Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2021

Sortie le mercredi 16 mars 2022


 


Inspiré du livre L’Histoire de ma femme du Hongrois Milan Füst, lu à l’âge de 15 ans par la réalisatrice, le dernier film de la trop rare Ildikó Enyedi (1) laisse présager un récit à la Joseph Conrad, là où, passé le pari un peu fou de Jacob, capitaine de navire de son état, on se retrouverait plutôt chez Henry James. Ce pari, lancé par l’officier confortablement installé avec un ami dans un café chic, consiste à prétendre qu’il épousera la première femme qui franchira le seuil dudit lieu.


 

Ce sera Lizzy, interprétée par Léa Seydoux... En matière de romanesque, le film se recentre alors en grande partie sur un affrontement en chambre, affrontement feutré entre Jacob et Lizzy qui, sur l’acquiescement immédiat de la femme, n’ont, de fait, pas tardé à convoler en justes noces.


 

Le film, avec ses compositions qu’on dirait empruntées à Vilhelm Hammerschøi (2), se présente comme d’apparence classique, mais, sur sa durée (presque trois heures), se révèle troué d’ellipses et béances diverses qui viennent interdire de pouvoir percer à jour l’intériorité des personnages. La hauteur des ambitions de Ildikó Enyedi se mesure d’ailleurs à l’intitulé d’un des sept "cartons" qui viennent scander le film ("Du caractère insaisissable de la réalité") et, de fait, l’on ne saura jamais véritablement si, s’agissant de la réalité des relations homme / femme, l’attitude de Lizzy n’est qu’une projection des ruminations de Jacob, ou bien si son épouse est "simplement" volage.


 

Le capitaine, finalement assez perturbé (tout compte fait, Joseph Conrad n’est peut-être pas si loin) manque de faire sombrer un paquebot pour un regard un peu prolongé sur une jeune femme à travers une vitre. Dans une ultime correspondance visuelle, un écho en subsistera au tout dernier plan du film, qui se clôt sur cette vision de Jacob, le regard perdu derrière un hublot, face à l’immensité de l’océan.

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021

1. Ildikó Enyedi, a réalisé 8 longs métrages de fiction. Ceux qui ont été sélectionnés par des festivals sont sortis en France. Son deuxième film Mon XXe siècle, sélection officielle Une certain regard du Festival de Cannes 1989, a reçu la Caméra d’or. Citons aussi Magic Hunter (Bűvös vadász), sélection officielle à la Mostra de Venise 1994 ; Simon le mage (Simon mágus) sélection officielle au Festival de Locarno en 1999 ; Corps et Âme (Teströl és lélekröl) a reçu l’Ours d’or à la Berlinale 2017.

2. Vilhelm Hammershoi (1864-1916) est un peintre intimiste danois.


L’Histoire da ma femme (A Felelsegém Történeté). Réal, sc, dial : Ildikó Enyedi, d’après le roman de Milan Fust ; ph : Marcell Rév ; mont : Karoly Szalay ; mu : Adam Balasz ; cost : Andrea Flesch. Int : Gijs Naber, Léa Seydoux, Louis Garrel, Sergio Rubini, Jasmine Trinca, Luna Wedler, Josef Hader, Ulrich Matthes, Udo Samel (Hongrie-Allemagne-France-Italie, 2021, 169 mn).



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