par Anita Lindskog
Jeune Cinéma n°416, été 2022
Sorties le mardi 31 août 1965 et le mercredi 20 juillet 2022
Avec Le soldatesse (1) réalisé en 1965, inspiré du récit autobiographique de Ugo Pirro, Valerio Zurlini aborde, dans une réalisation en noir et blanc, l’épisode de l’occupation de la Grèce envahie par l’armée italienne en 1940. C’est le premier film italien à reconnaître la responsabilité des soldats italiens dans les exactions commises pendant ce conflit qui a généré des massacres absurdes entre deux anciennes "grandes civilisations".
Alors que la famine ravage le pays, un jeune lieutenant italien reçoit pour mission de convoyer une dizaine de prostituées en majorité grecques, depuis la frontière albanaise jusqu’aux bordels militaires dans les garnisons du Nord, zone où les accrochages s’intensifient entre l’armée d’occupation et les résistants. Plus le convoi avance, plus les personnages féminins se dévoilent. La plupart d’entre elles ne sont que de simples jeunes femmes que la faim a contraintes à la prostitution. Des liens et des confidences se créent avec les quelques militaires qui les escortent.
L’intime, le désir, les sentiments, l’insouciance et la vie tentent de reprendre leurs droits face aux affres de la situation. Les plans larges montrant les visages juvéniles de certains couples, uniquement éclairés par les contrastes, accentuent le côté hors du monde, dans une forme d’élégie au drame qui habite les personnages avant que la réalité de la guerre ne les rattrape. Les dialogues sont parfois sublimes tant les états d’âme et la mélancolie y sont justes. En parlant poétiquement d’un monde d’espoirs, de doux désespoirs et de joies éphémères, ce cinéma fait de la résistance. Face aux dangers croissants affrontés, le jeune officier, est amené à reconnaître ces prostituées comme de véritables soldats de son bataillon d’où le titre italien du film.
Car ces femmes, victimes au départ, s’affirment comme le cœur véritable du bataillon humain. Elles deviennent les héroïnes du drame, courageuses et pugnaces au quotidien, sans jamais faire l’impasse sur leurs souffrances et qu’elles ont la pudeur de garder pour elles. Plus la personnalité des hommes s’effondre - ainsi ce commandant des chemises noires qui, dans la tourmente, devient le plus pleutre des individus -, plus les femmes s’affirment. La mise à distance pudique de la réalisation permet de nuancer et d’expliquer les comportements les plus ignobles.
Ce film aux accents néo-réalistes, dresse le portrait de véritables reines, vibrantes et fières à l’instar de cet inoubliable sourire illuminant le visage de Anna Karina. La résonance humaniste de cette œuvre singulière et délicate bouleverse encore la vision dans le contexte actuel des guerres d’agression.
Ce regard incisif d’un cinéma porté à la fois sur l’extérieur et tourné vers l’intériorité est magistral. L’héritage cinématographique de Valerio Zurlini, subtile dialectique entre un cinéma de critique historique et de recherche psychologique mérite d’être réévalué. Gageons que la ressortie en salles de la version restaurée du film y contribuera.
Anita Lindskog
Jeune Cinéma n°416, été 2022
1. En 1965, Le film est sorti en France sous le titre Des filles pour l’armée. En 2022, il ressort, en version restaurée, sous son titre italien original, Le soldatesse.
Des filles pour l’armée (Le soldatesse). Réal : Valerio Zurlini ; sc : V.Z., Piero De Bernardi & Leonardo Benvenuti d’après le roman de Ugo Pirro ; ph : Tonino Delli Colli ; mont : Franco Arcalli ; mu : Mario Nascimbene. Int : Anna Karina, Lea Massari, Marie Laforêt, Tomás Milián, Mario Adorf, Valeria Moriconi, Aleksandar Gavric, Rossana Di Rocco, Milena Dravic, Guido Alberti (Italie, 1965, 120 mn).