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Mariée était en noir (la) (1967)
de François Truffaut
publié le mercredi 3 août 2022

Truffaut : matériel américain, manière européenne

par Luce Vigo-Sand
Jeune Cinéma n°31, mai 1968

Sorties les mercredis 17 avril 1968 et 3 août 2022


 


"Rien ne s’oppose, dit François Truffaut, à ce qu’on raconte la véritable histoire de La mariée était en noir, mais cependant nous souhaitons que le final de l’intrigue ne soit pas dévoilé, demeurant le privilège et le secret des seuls spectateurs du film". Si on désire partager ce privilège, on va donc voir ce sixième long-métrage de François Truffaut, son avant-dernier film. On sera étonné, peut-être un peu dérouté, mais aussi, plus vraisemblablement, assez ému.


 


 

Mais ému par quoi ? Par l’intrigue proprement dite ? Sans doute, elle est en effet menée avec beaucoup de maîtrise et de nuances. Sans trahir le mot de la fin, ou plutôt le cri ultime, nous pouvons dire que c’est l’histoire d’une mariée, Julie, veuve le jour même de ses noces, et qui poursuit de sa vengeance les cinq meurtriers de son mari.


 

Des meurtriers accidentels. Nous l’apprenons assez vite, car François Truffaut, fidèle, comme il le dit, à "un principe de narration à la Hitchcock", joue un peu avec l’attente des spectateurs, leur en dévoilant assez pour que naisse une appréhension plus forte, source vive d’angoisses. Il n’en dit pas tout à fait assez cependant, de sorte qu’il finit presque toujours par surprendre ceux qui se croient ses complices.


 

Mais la véritable surprise, ou plutôt la véritable émotion provoquée par le film, n’est pas tant la menée habile et le dénouement de l’intrigue, que ce qui existe parallèlement à elle : la vie, les rêves, la personnalité de ces cinq hommes, assez médiocres certes, mais par là même vulnérables et profondément touchants. Vrais. En effet, l’histoire elle-même éveille un intérêt incontestable. Mais, sans atteindre vraiment au fantastique, elle semblerait peut-être un peu trop exceptionnelle et resterait une suite d’événements auxquels il serait difficile de participer sans réserve, s’il n’y avait cet autre facteur d’émotion : la peinture réaliste et juste d’hommes au frémissement chaque fois différent, selon la dimension de chacun, ses quêtes personnelles, l’écart entre sa vie et ses rêves, l’image qu’il se fait des femmes.


 


 


 

Le personnage de la mariée, rôle très difficile et remarquablement joué par Jeanne Moreau, est, par définition même, trop plein de retenue pour ne pas souffrir d’une sorte de froideur : elle brûle d’un amour si grand et si désespéré qu’elle en est devenue de glace. Elle révèle peu sa fragilité, mais toujours celle des autres, d’une manière plus ou moins aiguë, plus ou moins bouleversante. Il a d’abord Briss, le fiancé, accompagné de son ami Grey (Claude Rich et Jean-Claude Brialy). Puis Robert Coral, l’employé rêveur particulièrement touchant (Michel Bouquet).) C’est ensuite la rencontre de Julie avec Clément Morane, petit politicien désarmant de médiocrité (Michel Lonsdale) avec Delvaux le garagiste malhonnête (Daniel Boulanger) et avec Fergus le peintre (Charles Denner).


 


 

De ce dernier, François Truffaut nous fait un portrait si riche et si fin qu’il en est fascinant : la précision des gestes, des mots, des silences non seulement rend étonnamment vivant ce personnage, mais redonne pour un temps une dimension humaine à Jeanne Moreau.


 

Dans La mariée était en noir, l’exceptionnel conduit au quotidien, et l’irréel à la vérité. Ainsi s’exprime une fois de plus l’extrême sensibilité de François Truffaut même si cette fois-ci, elle n’est peut-être pas immédiatement perceptible.

Luce Vigo-Sand
Jeune Cinéma n°31, mai 1968

* Cf. "Entretien avec François Truffaut", à propos de La mariée était en noir, Jeune Cinéma n°31, mai 1968.

* Cf. aussi "Entretien avec François Truffaut", "Le métier et le jeu. À propos d’un rétrospective", Jeune Cinéma n°77, mars 1974.


La mariée était en noir. Réal : François Truffaut ; sc : F.T. & Jean-Louis Richard d’après le roman de William Irish (1940) ; ph : Raoul Coutard ; mont : Claudine Bouché ; mu : Bernard Herrmann ; déc : Pierre Guffroy. Int : Jeanne Moreau, Michel Bouquet, Jean-Claude Brialy, Charles Denner, Claude Rich, Michael Lonsdale, Daniel Boulanger, Alexandra Stewart, Sylvine Delannoy, Christophe Bruno, Luce Fabiole (France-Italie, 1968, 107 mn).



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