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Truffaut, François (1932-1984) I (e)
Entretien avec Luce Vigo-Sand (1968)
publié le mardi 9 août 2022

Rencontre avec François Truffaut
à propos de La mariée était en noir (1967)
Jeune Cinéma n°31, mai 1968


 


Jeune Cinéma : Vous avez, cette année, fait deux films, La mariée était en noir et Baisers volés. Il semble que vous ayez deux façons très différentes de travailler. Si l’on regarde ces derniers films, l’un correspond à ceux que vous appelez vos films improvisés, comme Les Mistons, L’Amour à vingt ans, Histoire d’eau, par exemple, et l’autre aux adaptations d’œuvres littéraires comme Jules et Jim, Tirez sur le pianiste, Fahrenheit 451... Pourriez-vous dire ce que cela représente pour vous, ces deux manières de faire un film ?

François Truffaut : C’est vrai que les deux manières sont là alternativement, parce que je suis quelquefois amené à préparer beaucoup quand il s’agit d’un matériel assez loin de moi. Par contre, je me laisse aller davantage quand je manipule un matériel plus proche, plus réaliste, plus personnel.

J.C. : Un matériel loin de vous, mais vous l’avez aimé, vous l’avez choisi, alors...

F.T. : Oui, mais il est loin de moi dans la mesure où il n’offre pas de repères avec ma vie. Il y a peu de place pour l’impression dans un film comme La Mariée, car le sujet exige une construction rigoureuse, une faute de scénario serait assez grave. Jeanne Moreau est une espèce de symbole, elle nous mène d’un homme à un autre, ce n’est pas vraiment un personnage. Il était donc obligatoire de bien préparer les événements.


 

J.C. : Pourquoi avez-vous choisi d’adapter ce roman de William Irish, The bride wore black ?

F.T. : Lorsque nous parlions, Jeanne Moreau et moi, de refaire un film ensemble, je repoussais beaucoup de sujets, car, d’une façon ou d’une autre, ils me semblaient recouper, même lointainement, Jules et Jim. Et quand j’ai relu ce roman de William Irish - dont je me souvenais pour l’avoir lu à la Libération en cachette de ma mère - il m’a donné la conviction que nous tenions une histoire dans laquelle il n’y aurait pas une seule scène commune aux deux films.
Est-ce suffisant pour expliquer mon choix ? le ne sais pas : il y a aussi la satisfaction de voir un personnage qui décide une chose et va jusqu’au bout. L’idée également - ce qui recoupe un peu Le Pianiste  -, d’opposer un personnage à plusieurs de l’autre sexe, et d’écrire un dialogue qui ne traite que des rapports entre les hommes et les femmes.
L’action policière avance toute seule, sans le secours des dialogues. C’était tentant pour moi de faire deux films en un. Et puis il y a enfin mon admiration pour ce livre dont j’aime beaucoup le climat... On a beaucoup fait, en France, de films d’après des romans de James Hadley Chase transposés sur la Côte d’Azur. Ça n’a jamais réussi, j’ai l’impression que c’est parce qu’on a toujours essayé de faire un produit français à partir d’un produit américain ou anglais. Je vois ces choses-là dans une autre perspective, je suis attiré par l’idée du pays imaginaire.


 

J.C. : Et pourquoi ?

F.T. : Parce que je vois ces livres-là - les romans de William Irish, ou de David Goodis que j’aime beaucoup également - comme des contes de fées pour adultes. Et je les adapte dans le même esprit que Jean Cocteau tournant La Belle et la Bête, enfin en jouant un jeu moins ouvertement féerique. Pour moi, c’est ceci : "apparition", "disparition", "ils étaient cinq", "où sont passés les cinq ? ". C’est ce côté-là qui me plaît énormément.

J.C. : La mariée est le deuxième roman policier que vous adaptez. Vous vous attendez sans doute à ce que l’on vous parle, à ce propos, de Alfred Hitchcock à cause du livre que vous avez publié l’an passé. J’ai l’impression que vous ne niez jamais les influences que vous subissez ?

F.T. : J’ai une idée, si vous voulez, qui est intéressante comme toutes les idées, un peu folle aussi comme les idées trop théoriques, à savoir qu’il y a une réconciliation possible entre Jean Renoir (le comble du cinéma de personnages) et Alfred Hitchcock, (le comble du cinéma de situations). Il y a de chaque côté des inconvénients. Je crois que chez Alfred Hitchcock ce serait parfois du côté du réalisme, de l’humanité ; et chez Jean Renoir, les situations pas assez fortes quelquefois.
Je crois à un mélange. J’aime le côté expérimental de ce que l’on fait, et j’ai essayé, avec La Mariée, de faire une histoire, pas hitchcockienne - il s’intéresse davantage aux innocents qu’aux coupables -, mais selon un principe de narration "à la Hitchcock." Le premier homme, Claude Rich : "que lui veut-elle ?", "tiens, elle le tue" ; le deuxième homme, Michel Bouquet : "zut, elle va le tuer" ; le troisième, Daniel Boulanger : "tiens, ça ne se passe pas comme prévu" ; à la fin : "elle va se faire prendre, tiens non, on croyait que...". Tout le temps on tient compte du raisonnement du public, et on s’en amuse. On se dit : "On va lui faire croire que...". qu’elle va tomber amoureuse de Charles Denner, par exemple.


 


 


 

J.C. : Nous croyons être complices, et puis finalement...

F.T. : Vous ne l’êtes pas tout à fait. Le principe est hitchcockien. Mais le parti pris de faire parler les personnages de choses extérieures l’action, cela Alfred Hitchcock ne le ferait jamais, ce serait pour lui un affaiblissement drame. Je pars du principe qu’ici le drame est tellement fort qu’il n’y a pas de danger de l’affaiblir, qu’au contraire il vaut mieux lui donner de la réalité. J’essaie, au fond, de rendre les personnages assez vivants et je crois que ça marche à partir de Michel Bouquet. Michel Lonsdale, Michel Bouquet et Charles Denner sont vivants, je crois. Les premiers, ce sont des complices, des copains et c’est un autre ton, qui donne un peu le climat dont on aura besoin à la fin.


 

JC : Jeanne Moreau a un rôle très lourd.

F.T. : Elle dit que c’est le rôle le plus difficile qu’elle ait jamais eu, et je veux bien le croire. Elle avait toujours un travail de double pensée à faire, il lui était très pénible de ne pas jouer avec les hommes, eux se livraient sincèrement, elle les écoutait tout en ayant son arrière-pensée. Elle a été déprimée pendant le film, au contraire de Jules et Jim qui avait été un enchantement pour elle. Elle a souffert de l’impression de jouer toute seule, de ne pas dialoguer avec ses partenaires. Et ça peut paraître naïf aux gens, mais en fait les acteurs sont influencés par ce qu’ils jouent. La mariée est un film de destruction, ceci l’a beaucoup abattue. L’épisode du cagibi en particulier et le coup de feu au mariage qu’il a fallu recommencer puisqu’il est utilisé plusieurs fois dans le film.


 

J.C. : Vous avez expliqué, tout à l’heure, l’insuccès de certaines adaptations de romans américains par le souci qu’avaient eu leurs auteurs de faire un produit français d’un produit américain. D’où, chez vous, la nécessité du pays imaginaire. Pourtant vous avez parlé, lors de différents entretiens, de votre conception du film américain tourné dans l’esprit européen. Pourriez-vous, à propos de La Mariée, préciser votre pensée ?

F.T. : Je suis sûr que les Américains n’auraient pas fait La Mariée dans le même esprit, ils auraient essayé de la rendre plus sympathique. Au début, lorsque Les Artistes associés, par exemple, avaient peur du scénario, je m’étais amusé à imaginer comment les Américains auraient fait le film, à Hollywood. Et je voyais comme première scène, une clinique, puis la grille d’entrée de la clinique, d’où on aurait vu sortir Jeanne Moreau, sa mère et le docteur. Et le docteur aurait rendu Jeanne à sa mère en disant : "Ça va, elle va être raisonnable maintenant, mais occupez-vous bien d’elle". Ensuite, elles seraient revenues à la maison. Jeanne Moreau aurait alors fait ses valises et serait partie en cachette de sa mère. Je ne sais pas si vous vous rendez compte qu’une simple scène comme celle-là change à peu près tout le film : "Elle a toutes les excuses, elle est folle !". L’esprit français, c’est de manipuler ce matériel américain, mais de refuser d’y mettre des fous et des méchants. J’ai finalement rendu les hommes presque sympathiques un par un, en tous les cas jamais odieux, pas même le père du petit garçon. L’esprit européen, c’est d’arrondir les angles plutôt que renforcer le drame, c’est de l’atténuer tout le temps. Les effets ? C’est le sujet lui-même.


 

J.C. : Vous parlez de La Mariée avec une chaleur que le film appelle tout à fait. Un jour pourtant, je vous ai entendu dire que ce qui comptait dans la vie d’un cinéaste, c’était son premier film, qu’après ce n’était plus qu’une carrière...

F.T. : Et vous avez été un peu attristée ? Je ne crois pas avoir dit cela, ou plutôt j’ai dû le dire pour les trois premiers films. Je crois à la nécessité profonde des trois films, après on tourne autour de ce qu’on a fait avant. Vous savez, ce n’est pas une idée plus triste que de dire : "Un homme se forme entre 7 et 16 ans, après il vivra toute sa vie sur ce qu’il aura acquis entre ces deux âges". C’est une idée à la Georges Simenon, et que je crois juste. En ce qui concerne le cinéaste, je crois beaucoup à cette idée que je me fais des trois films : le premier est le plus bouleversant parce que c’est un saut dans le vide, le deuxième est toujours plus léger, plus mince. Dans le premier on veut tout dire, dans le deuxième on accepte de ne mettre qu’une partie du monde. Le troisième est un effort de réconciliation ou de synthèse, toujours très riche - je parle dans la perspective d’un cinéaste qui a pu tourner ce qu’il voulait. Cela se confirme très bien, je trouve, pour Alain Resnais par exemple, et d’une façon très cohérente : Hiroshima, Marienbad, Muriel.

À partir du quatrième film, il y a éventuellement autant nécessité qu’avant mais je crois que l’on va, toute sa vie, jouer avec un matériel contenu d’une façon ou d’une autre dans les trois premiers. Ce que l’on fera peut-être, c’est mélanger Muriel et Marienbad et puis après Hiroshima et Muriel, parce qu’on s’aperçoit que ce que l’on croyait compartimenté peut au fond très bien déboucher l’un sur l’autre. Cela ne veut pas dire qu’on ne fera plus de choses importantes. Il est bien évident qu’il fallait faire La Règle du jeu, et c’était peut-être le dix-septième film de Jean Renoir. Peu à peu, on se domine... Il y a des carrières passionnantes comme celle de Ingmarr Bergman, de Luis Buñuel aussi. Max Ophüls m’a dit, un jour : "Je n’ai plus vu de films de Orson Welles depuis Citizen Kane, que j’ai follement admiré. Mais je me doute comment sont les autres, je n’ai qu’à repenser chaque fois à Citizen Kane. " Cette idée m’a plu, oui. Effectivement, on peut suivre la carrière de quelqu’un en n’ayant vu que ses tout premiers films.

J.C. : Dans vos films on trouve certainement une constante, celle de la tendresse, par exemple, mais...

F.T. : Vous allez me dire : "Vos films sont très différents". On utilise quelquefois cela comme une critique, l’indice d’un manque de personnalité. Mais il y a toujours, dans mes films, le personnage en dehors de la société. Je sais très bien que Jeanne Moreau dans La Mariée, c’est exactement Jean-Pierre Léaud dans Les Quatre cents coups, même si cela prend une forme moins séduisante, ou moins émouvante, ou plus abstraite. N’importe, je sais forcément que c’est la même chose, parce que c’est la même personne derrière la caméra et je ressens les mêmes impérieuses raisons de faire les choses.

J.C. Et les précisez-vous, ces raisons ?

F.T. : Non, car en même temps ce qui m’intéresse c’est de les cacher de plus en plus. Je ne sais pas pourquoi, je cherche de moins en moins à profiter du pouvoir que l’on a quand on filme. Plus je contrôle ce que je fais, plus je suis tenté d’être indirect, en sentant peut-être une plus grande efficacité de ce que je veux dire.

J.C. Comment vous situez-vous maintenant par rapport à vos amis de la Nouvelle Vague ? Avez-vous l’impression que vous avez tous suivi une ligne à peu près parallèle, chacun selon sa personnalité, et que vous êtes restés fidèles à vos débuts, à l’idée que vous vous faisiez du cinéma ?

F.T. : Je le crois, mais n’est-ce pas parce que nous nous connaissons trop bien ? Je pense que ce que fait Éric Rohmer lui ressemble énormément, ce que fait Jean-Luc Godard également. Jacques Rivette est un peu plus imprévisible, c’est le plus cinéphile de nous tous, celui qui lutte le plus contre lui-même, il est donc assez difficile de savoir ce qu’il va faire. Mais je crois à la fidélité à soi-même, oui.

J.C. : À soi-même, mais au groupe que vous formiez ?

F.T. : Oh ! nous n’avons pas toujours été groupés, nous nous sommes disloqués. Aujourd’hui nous nous regroupons beaucoup avec l’histoire de la Cinémathèque. Mais il m’est difficile de vous répondre. Il est arrivé que je me fasse de nouveaux amis par le cinéma : Claude Berri depuis Le Vieil homme et l’enfant, Pierre Kast aussi, que je comprenais mal autrefois, je l’ai mieux aimé à travers ses films. Il est certainement difficile d’être amis dans ce métier si on ne ressent pas d’admiration. Dans nos rapports intervient quand même la notion d’un jugement, même atténué, même doux, porté les uns sur les autres. C’est très inévitable.

J.C. : Continuez-vous à discuter ensemble de votre travail  ?

F.T. : Oui, beaucoup plus que personne ne l’a jamais fait en France, sûrement. Cela vient des Cahiers du Cinéma, d’une formation en groupe déjà. Nous nous sommes connus avenue de Messine, à la Cinémathèque, nous nous retrouvions dans les ciné-clubs ; il y a eu les fameuses séances du Parnasse où nous nous disputions tous les mardis soir. Cela nous a entraînés à parler cinéma ensemble. Plus tard, plus intimement, il nous a paru vraiment normal de faire lire nos scénarios à deux ou trois amis fidèles et de tenir compte de leurs avis. Ainsi, puisque nous parlons de La Mariée, je peux vous dire que l’idée, très bonne, de ne faire porter que du noir ou du blanc à Jeanne Moreau, je la dois à Jacques Rivette. Il a prolongé l’idée du titre La mariée était en noir. J’y serais peut-être arrivé, mais moins directement que lui.


 


 

J.C. : Puisque nous parlons couleurs, ou absence de couleurs, avez-vous l’intention de revenir au noir et blanc un jour ?

F.T. : Oui, mais ce sera un grand acte de courage car l’industrie ne veut plus que l’on fasse de films en noir et blanc. Dans toute la production actuelle il n’y a, je crois, que L’Amour fou de Jacques Rivette qui ne soit pas en couleurs. Mais le problème ne me gêne pas. Déjà dans La Mariée, je m’en suis très peu occupé, et dans Baisers volés, entièrement tourné dans des endroits vrais, il n’y a pas une couche de peinture, j’ai même oublié que c’était en couleurs. Si j’ai un sujet en noir et blanc, je le ferai, s’il n’est pas trop cher, j’y arriverai, mais on rencontre vraiment une grande hostilité maintenant, c’est au point que l’Amérique ne veut pas acheter de films en noir et blanc.

J.C. : Vous aviez tourné Fahrenheit en Angleterre. Vous venez de faire deux films en France. Y a-t-il eu entre temps une évolution de votre situation par rapport aux maisons de production ?

F.T. : Je n’en suis pas sûr, mais je crois que si je voulais faire maintenant Fahrenheit, je pourrais le tourner en France. En 1963, une maison comme Les Artistes associés a refusé Fahrenheit parce qu’ils n’avaient pas confiance. Et le fait que La Peau douce n’ait pas marché ne l’a pas aidé à se faire. Aujourd’hui, on me fait davantage confiance, une maison américaine, j’entends, car une maison française n’aurait pas assez de possibilités. Ce qui joue peut-être, c’est la quantité de films. Trois films, c’est insuffisant, mais sept... Baisers volés est un tout petit film que j’ai failli ne pas pouvoir faire. Je souhaitais le tourner entièrement à Nice, car j’avais gardé un mauvais souvenir du tournage de La Peau douce dans Paris. Mais comme le scénario de Baisers volés était plutôt mince - je ne l’avais absolument pas développé - j’ai essuyé d’abord un refus des Artistes associés. Ils l’ont finalement accepté, à condition que nous dépensions encore moins d’argent, et nous avons tourné à Paris.

J.C. : Est-ce la suite des Quatre Cents Coups, de L’Amour à vingt ans ?

F.T. : C’était l’idée au départ. Mais c’est devenu tellement blagueur, tellement traité en farce que je ne peux vraiment plus dire que c’est la suite des Quatre Cents Coups. C’est la première fois que nous faisons un film à prétentions comiques...

Je n’ai pas eu le temps de travailler à cause de l’affaire de la Cinémathèque. Je suis arrivé sur les décors, j’avais oublié les endroits, je voyais des têtes d’acteurs, j’avais oublié que je les avais engagés un mois avant. Nous ne pouvions nous en tirer qu’en nous amusant beaucoup, et comme j’ai eu la chance de ne pas faire d’erreur dans la distribution, on a réussi à faire le film comme ça, avec des acteurs formidables. Et aussi, probablement, les soucis de la Cinémathèque étaient tellement importants que j’ai jugé le film sans importance. Finalement c’est une bonne attitude de temps en temps.

Nous en revenons aux deux façons de travailler : il y a des sujets à plus grande responsabilité que d’autres. La Mariée était fatigante, avec ses morts, il fallait les préparer. On tourne pendant trois jours, on sait que dans quatre jours on tourne la mort, cela rend un peu solennel. Pour Baisers volés, je me suis senti complètement libre et détendu. J’espère que ce film n’est pas finalement une chose entièrement entre nous, qui ne peut faire rire que nous. On riait pas mal dans Le Pianiste, mais il n’était pas évident que c’était fait pour faire rire car il y avait un personnage secret et renfermé, Charles Aznavour, et des choses tristes. Mais si on ne rit pas avec Baisers volés, ce sera vraiment ridicule. Les gags et les situations sont énormes. C’est un film de contrastes. On met tout le temps Jean-Pierre Léaud avec quelqu’un très loin de lui, avec une femme mariée jouée par Delphine Seyrig, avec un vieil homme de 70 ans qui lui apprend le métier de détective privé, avec une jeune fille d’aujourd’hui alors que lui-même est anachronique et romantique. Rien que des contrastes très forts. Il y a peut-être cinq ou six scènes sérieuses, mais pas plus.

J.C. Vous avez fait des films tristes, des films drôles. N’avez-vous jamais eu l’intention de faire un film "engagé" ?

F.T. : Cela me serait absolument impossible car je suis le désengagement personnifié, parce que j’ai l’esprit de contradiction poussé très fort.

J.C. : Pourtant vous vous êtes profondément engagé dans l’affaire de la Cinémathèque ?

F.T. : La Cinémathèque représente beaucoup pour nous, il y a une part sentimentale qui est toute notre jeunesse. Et je vois, par exemple, de jeunes Allemands qui ne savent pas ce qu’ils feront, même une fois metteurs en scène, parce qu’ils n’ont pas de cinémathèque. Ils imiteront Alain Resnais, Jean-Luc Godard ou moi. Mais il ne faut pas imiter ses congénères, et pour cela il faut tout connaître vraiment. Cela aide à trouver des directions précises et personnelles en même temps.
Il y a aussi Henri Langlois, l’homme qu’il est, le comble du naturel. Il ne simule jamais et c’est ce qui fait que nous l’admirons. Et au-delà de ces problèmes personnels, il y a les films qui sont en danger, car on a affaire à des gens qui n’y connaissent rien, qui le savent, mais qui croient à la compétence d’une chose qui porte le titre ronflant de "Commission supérieure technique". On y trouve de tout... Le stock de films de la Cinémathèque française est en danger, donc tout le cinéma doit être mobilisé.

Propos recueillis par Luce Vigo-Sand
Jeune Cinéma n°31, mai 1968

* Cf. "La mariée était en noir", Jeune Cinéma n°31, mai 1968


La mariée était en noir. Réal : François Truffaut ; sc : F.T. & Jean-Louis Richard d’après le roman de William Irish (1940) ; ph : Raoul Coutard ; mont : Claudine Bouché ; mu : Bernard Herrmann ; déc : Pierre Guffroy. Int : Jeanne Moreau, Michel Bouquet, Jean-Claude Brialy, Charles Denner, Claude Rich, Michael Lonsdale, Daniel Boulanger, Alexandra Stewart, Sylvine Delannoy, Christophe Bruno, Luce Fabiole (France-Italie, 1968, 107 mn).



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