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Second Éveil de Christa Klages (le) (1978)
de Margarethe von Trotta
publié le jeudi 13 octobre 2022

par Jean Delmas
Jeune Cinéma n°114, novembre 1978

Sélection officielle de la Berlinale 1978

Sorties les mercredis 15 novembre 1978 et 12 octobre 2022


 


Le Second Éveil de Christa Klages nous fait accompagner dans sa fuite une très jeune femme qui a participé à un hold-up dans une banque, et qui maintenant cherche à échapper à la police, à garder le contact avec les siens, à rompre sa solitude en s’appuyant sur ses amis d’autrefois. Le hold-up, c’était pour sauver une crèche sauvage qui, faute d’argent pour payer le loyer, était menacée d’expulsion par un propriétaire avide...
Si cela se passait au 19e siècle, ce serait pour nous seulement une belle histoire touchante de tradition un peu hugolienne. De fait, on peut bien voir le film ainsi et on ne peut refuser son affection à ce petit écureuil toujours en mouvement, tout en primessauts et volte-faces, à cette frimousse qui saute du rire aux larmes, de la rage à la tendresse : Tina Engel, une inconnue jusque-là, dans le rôle, dans la peau de Christa.
Mais l’action est située - à chaud - dans cette Allemagne de l’automne 1977, dont la bourgeoisie apeurée par le terrorisme, retombe dans son vieux pli de respect de l’autorité. Dès lors le film devient - en plus - un acte civique.


 

Margarethe von Trotta était connue jusqu’ici comme interprète et coscénariste de Volker Schloendorff (1). Pour sa première œuvre de réalisatrice, elle s’engage dans le même combat que lui, et Le Second Éveil fait vibrer en nous les mêmes cordes que Katharina Blum - de manière plus directe encore en raison de la structure moins complexe de son récit. Comme on dit "un homme de cœur", "une femme de cœur", on est tenté de dire "un film de cœur, avec tout ce que contient l’expression populaire : la bonté, mais aussi le courage. Un film qui ne cherche pas la distanciation, devenue une règle pour le film politique, mais qui démontre que le recours à l’émotion, une certaine identification du spectateur aux personnages est une autre voie - et singulièrement efficace.


 


 

Identification non pas à l’acte de violence. Le film montre, sans avoir besoin de le dire, que le hold-up n’est pas sans doute un geste politique : tout simplement parce que les copains de Christa ne veulent pas, ou n’osent pas, prendre l’argent soustrait à la banque, parce que la crèche est expulsée, que donc tout cela a été pour rien. Mais il y a une identification du spectateur aux amis de Christa qui est un chemin de réflexion. Ce sont tous des gens établis dans la société, que tout prédisposerait à être de l’autre bord, et qui pourtant donnent à l’ami ce qu’ils doivent à l’ami. C’est Hans : il est pasteur, fils et petit-fils de pasteur et jusque-là il voyait dans cette continuité ecclésiastique sa raison d’être. C’est Ingrid : elle est bourgeoisement mariée à un officier. L’un commence par faire son sermon et l’autre par trembler de peur, mais tous deux finalement font ce qu’ils doivent faire.


 


 

Plus important sans doute est le personnage de Lena, l’employée de banque que Christa avait pris en otage dans le hold-up, et qui maintenant, mène son enquête personnelle à la crèche, auprès des parents de Christa, etc. Compassée, impassible, elle est sa contradiction vivante. Pourtant quand, finalement arrêtée par la police, elle lui est confrontée, elle se refuse à la reconnaître. Énigmatique jusqu’à la fin (et même après la fin puisque ses mobiles ne sont jamais élucidés), Lena fournit le suspense, le ressort dramatique du film. En outre, son attitude est un exemple. Solidarité des femmes ? Ou bien volonté de se faire une opinion par soi-même ?


 

Face à la raison d’État, Margarethe Von Trotta dresse la raison d’amour de Hans et d’Ingrid que reioint, froide et dure, la raison tout court de Lena. Le Second Éveil n’est pas seulement un beau film, c’est un film courageux - un de plus - qui prend sa place dans la lutte livrée par les meilleurs des cinéastes allemands contre une intoxication qui menace de ramener leur peuple au plus sombre de son passé.

Jean Delmas
Jeune Cinéma n°114, novembre 1978

1. L’Honneur perdu de Katharina Blum (Die Verlorene Ehre der Katharina Blum oder : Wie Gewalt entstehen und wohin sie führen kann) de Margarethe von Trotta & Volker Schloendorff (1975).


Le Second Éveil de Christa Klages (Das zweite Erwachen der Christa Klages). Réal : Margarethe von Trotta ; sc : M.v.T. & Luisa Francia ; ph : Franz Rath ; mont : Annette Dorn ; mu : Klaus Doldinger ; cost : Gerlind Gies. Int : Tina Engel, Silvia Reize, Katharina Thalbach, Marius Müller-Westernhagen, Peter Schneider (Allemagne, 1978, 92 mn).



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