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Retour d’Afrique (le) (1972)
de Alain Tanner
publié le samedi 22 octobre 2022

par Jean Delmas
Jeune Cinéma n°73, septembre-octobre 1973

Sélection officielle de la Berlinale 1973
Sortie le jeudi 20 septembre 1973


 


Le Retour d’Afrique est une "tragédie légère", selon le mot de Alain Tanner, finalement porteuse d’espoir.


 

Certes, les cinéaste bouscule les valeurs sûres de la morale bourgeoise, comme il le faisait dans Charles mort ou vif. (1)
C’est la dérision évidente du mythe du self-made-man, quand le patron horticulteur crie à son ouvrier Emilio, immigré espagnol : "Et qu’est-ce qui vous empêche, vous, d’être patron ?"
C’est aussi le retournement du principe de la famille comme pilier de la société et de la morale, quand Vincent et Françoise décident d’avoir un gosse : "On va te leur faire un enfant dans le dos". Dans le dos de qui ? : Eux, ceux du carillon de la cathédrale, politiciens et marchands. On va leur faire un ennemi. Un traître à la Patrie.


 

Toutes choses que, d’ailleurs, la presse suisse a mal encaissées - ce qui prouve, dit Alain Tanner, "qu’ils avaient bien vu la dimension politique du film, mais en lui faisant un sort un peu excessif". C’est certes par écœurement de cette "bonne graisse" bourgeoise que Vincent et Françoise, sur un vague accord du copain Max installé en Algérie, ont voulu le départ dans le tiers-monde, vendu toutes leurs affaires, sauf le matelas, pris congé de leurs copains. Quand Max leur demande de différer leur départ, il ne leur reste plus, pour sauver la face, qu’à rester enfermés chez eux en rêvant leur voyage.


 


 

Puis ils sont chassés de leur rêve africain par la démolition de la vieille maison où ils habitaient, qu’un promoteur va remplacer par un immeuble de rapport. Le temps est venu d’un retour à la raison, pas un retour d’enfant prodigue, mais un retour à une raison autre. Revenir "dans le pays mien", selon le texte de Aimé Césaire qui ponctue le film, prendre pied solidement sans la réalité mienne, ce n’est pas pour se résigner, mais pour se battre.

Le Retour d’Afrique apparaît dès lors comme un retour nécessaire sur le "Croyez à la réalité de vos rêves", et on songe aux murs de Mai 68.


 

Neuf mois après - le spectateur devant faire appel à son imagination pour combler ce trou de neuf mois qui est finalement le vrai sujet du film -, nous retrouvons Vincent et Françoise dans une HLM, s’organisant avec d’autres locataires contre l’option qui leur est imposée - achat de l’appartement ou expulsion -, refusant donc l’attrait attrape-mouches de la propriété. Nous les trouvons discutant, puis jouant à pile ou face qui des deux quittera son travail pour garder le bébé qui va naître, refusant donc la règle ancestrale.


 

Nous ne sommes plus dans le rêve de départ, mais à la fois dans le réel présent et dans l’espoir raisonné d’un autre réel à conquérir. Le réel présent, c’est par exemple le poids que prend, dans le film, le personnage d’Emilio, l’immigré. Il est le prolétaire - puisque, comme dit Alain Tanner, "il n’y a pas de prolétariat suisse en Suisse, mais seulement des travailleurs étrangers". Par "un transfert d’exil", Vincent va en fait prendre sa place et assurer sa condition.

Jean Delmas
Jeune Cinéma n°73, septembre-octobre 1973

1. "Charles mort ou vif" (1969), Jeune Cinéma n°42, novembre-décembre 1969


Le Retour d’Afrique. Réal, sc : Alain Tanner ; ph : Renato Berta ; mont : Brigitte Sousselier ; mu : Jean-Sébastien Bach. Int : Josée Destoop, François Marthouret, Juliet Berto, Anne Wiazemsky, Roger Ibanez, Roger Jendly (France-Suisse, 1972, 113 mn).



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